Premières secousses (Les Soulèvements de la terre)

Premières secousses est un livre collectif du mouvement Les Soulèvements de la terre, publié chez La Fabrique en avril 2024. Il se présente à la fois comme un bilan d’étape après 3 années d’existence de ce collectif écologiste, et comme une réflexion sur les perspectives d’action et d’évolution du mouvement.

Au fil des saisons, nous avons formé des cortèges bigarrés, muni·es de bêches, de mégaphones et de meuleuses, vêtu·es de bleus de travail et de combinaisons blanches, escorté·es par des oiseaux géants... Nous avons traversé les bocages et les plaines, arpenté les vallées industrielles et le bitume des usines – et même frôlé les cimes alpines. Nous nous soulevons pour défendre les terres et leurs usages communs. Contre les méga-bassines, les carrières de sable, les coulées de béton et les spéculateurs fonciers, nous voulons propager les gestes de blocage, d'occupation et de désarmement, pour démanteler les filières toxiques. Nous nous soulevons parce que nous n’attendons rien de ceux qui gouvernent le désastre. Nous nous soulevons parce que nous croyons en notre capacité d’agir.

Depuis des siècles, du nord au sud, des mouvements populaires se battent pour défendre une idée simple : la terre et l’eau appartiennent à tou·tes, ou peut-être à personne. Les Soulèvements de la terre n’inventent rien ou si peu. Ils renouent avec une conviction dont jamais nous n'aurions dû nous départir.

Ce qui frappe d’abord, c’est que les textes proposés dans ce livre sont très vivants. Même quand il s’agit de parler de stratégie, on sent un souffle qui pousse vers l’action avec un désir de « joie militante ». On trouve des récits de luttes, sans oublier les leçons qu'on en tire. Mais aussi des prises de position et des réflexions plus stratégiques, sans masquer les questions encore ouvertes, notamment sur les questions d'organisation et d'articulation entre actions locales et stratégie globale.

C’est un livre passionnant et qui fait du bien, surtout en cette période d’actualité politique angoissante et déprimante. J’aurais pu surligner de nombreux passages, mais j’ai choisi d’en retenir seulement quelques uns, qui m’ont particulièrement marqués et m’ont donné envie de les partager avec vous.

Sur le rôle de l’État :

Il n'y avait pourtant rien à désarmer derrière les grilles. Rien à défendre dans ce cratère. Rien d'autre que l'honneur d'un État qui avait choisi d'en faire le symbole de son autorité retranchée. Mais l'histoire l'a maintes fois démontré, derrière le vernis démocratique et les vestiges de protection sociale, l'État est d'abord et avant tout ce monstre froid qui tue pour défendre les intérêts d'une minorité.

Sur la non-violence :

L’idéologie de la non-violence confond le “bien” et son éthique bourgeoise, discréditant au passage la légitime virulence des protestations populaires à travers le monde. N’est-il pas logique que les classes aisées soient les plus enclines à croire en la possibilité de transformer le système de l’intérieur par des moyens pacifiques et légaux ? Ne faut-il pas jouir de certains privilèges pour livrer sereinement son corps à la police et sa liberté aux juges ?

Sur les rapports entre écologie politique et nature :

Nous entendons tracer une ligne claire entre une écologie qui fait de la nature une norme pour bannir les corps minoritaires, et une écologie qui cherche dans la nature les forces pour renverser les possesseurs et destructeurs de la terre. Trop souvent, ceux qui se revendiquent d'une “terre” ou d'une “nature” vues comme un en dehors figé et idéalisé ne cherchent qu'une chose : asseoir sur une autorité transcendante la violence envers les corps jugés monstrueux ou inférieurs. Pourtant, s'il est une leçon des récents bouleversements écologiques, c'est bien que les humain.es ne sont pas en dehors du monde naturel. L'activité humaine s'avère capable de perturber ce qu'elle pensait être le cadre immuable de son histoire, tandis que le sol sous nos pieds se soulève. La nature n'est pas un espace idéal à protéger ou à imiter. Elle est l'un des noms de l'humaine condition, mais aussi un champ de bataille où s'affrontent des intérêts et des idées. La lutte contre les possédants, nous la menons donc avec des personnes et des organisations qui se battent directement contre le fascisme ou le patriarcat, depuis l'intérieur du mouvement ou en nouant des alliances avec elles.

La nature, pas plus que la nation, ne nous sauvera du déracinement. Si nous voulons défaire les maîtres et possesseurs de la nature, il nous faut construire de nouveaux attachements et nouer des amarres que le mouvement ne tue pas. Pour beaucoup d'entre nous qui vivons sur le sol de vieilles nations occidentales, les liens qui nous relient aux collectivités passées sont précieux, mais trop ténus pour les opposer aux flux déracinants du capital. Au fil des luttes, nous tissons pourtant d'autres liens que ceux du sang et de la propriété. Des liens aux lieux et aux êtres qui se rencontrent lorsqu'on se bat contre un projet d'aménagement ou une réforme néolibérale. Des liens fondés sur l'usage et l'amitié. [...]

Ce qui distingue nos ancrages et nos attachements de l'enracinement réactionnaire, c'est que les communautés que nous construisons ne sont pas encloses dans une illusoire pureté, hérissées de frontières identitaires. Elles sont hospitalières, ouvertes et hybrides. Elles se créolisent et s'enrichissent des contacts noués au fil des vies et des luttes. En cela elles sont vivantes et mouvantes, elles muent et refusent de se figer dans la conservation passéiste d'un toujours ainsi.

Être la nature qui se défend, ce n'est pas camper sir les rives de son territoire pour en repousser de prétendus envahisseurs. C'est au contraire être capable de composer avec une multitude de forces. Avec celleux qui, par leurs histoires, leurs passions ou par nécessité, s'opposent à l'appropriation et inventent ainsi de nouveaux usages des corps et du sol. Nos identités, individuelles ou politiques, ne préexistent pas à nos histoires. Tissons des parentés étendues, qui reposent sur des histoires partagées, des perspectives et des pratiques communes plutôt que sur les seuls liens du sang.

Zéro Janvier@zerojanvier@diaspodon.fr

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