Des électeurs ordinaires (Félicien Faury)
Des électeurs ordinaires, Enquête sur la normalisation de l'extrême droite, est un ouvrage du sociologue Félicien Faury, publié en mai 2024 au Seuil. J’avais vu, lu et entendu plusieurs fois son auteur en parler dans des articles, des vidéos ou des podcasts. Je savais que je le lirais un jour, mais j'avais repoussé ce moment car j'avais un peu peur d'être confronté à la parole de ces “électeurs ordinaires” qui donnent son titre au livre.
Ils sont artisans, employés, pompiers, commerçants, retraités… Ils ont un statut stable, disent n’être « pas à plaindre » même si les fins de mois peuvent être difficiles et l’avenir incertain. Et lorsqu’ils votent, c’est pour le Rassemblement national. De 2016 à 2022, d’un scrutin présidentiel à l’autre, le sociologue Félicien Faury est allé à leur rencontre dans le sud-est de la France, berceau historique de l’extrême droite française. Il a cherché à comprendre comment ces électeurs se représentent le monde social, leur territoire, leur voisinage, les inégalités économiques, l’action des services publics, la politique. Il donne aussi à voir la place centrale qu’occupe le racisme, sous ses diverses formes, dans leurs choix électoraux. Le vote RN se révèle ici fondé sur un sens commun, constitué de normes majoritaires perçues comme menacées – et qu’il s’agit donc de défendre. À travers des portraits et récits incarnés, cette enquête de terrain éclaire de façon inédite comment les idées d’extrême droite se diffusent au quotidien.
L’ouvrage est à la fois passionnant et terrifiant. Comme je le craignais, il a été difficile pour moi de lire les paroles et la vision du monde portées par les électeurs du RN que Félicien Faury a rencontrés entre 2016 et 2022. Pour autant, le travail de sociologue réalisé par l’auteur pour sa thèse de doctorat et pour ce livre est nécessaire et très éclairant.
D’après Félicien Faury, le racisme est central dans les motivations de ces électeurs, et il recommande de ne pas fermer les yeux sur cet aspect, au profit d’une vision purement sociale ou économique d’un vote que serait vu uniquement comme contestataire.
Evidemment, cette vision racialiste du monde s’appuie également sur des considérations sociales et matérielles : ces deux aspects s’auto-alimentent, dans un souci partagé par ces électeurs de rester majoritaires d’une part, et dominants parmi les dominés d’autre part.
Dans un système de triangulation sociale où ces individus s’estiment pris en étau entre des élites inaccessibles et des classes populaires immigrées bénéficiant d’un système de redistribution sociale dont ils considèrent ne plus bénéficier eux-mêmes, le racisme et le vote RN deviennent des moyens de lutter contre une impuissance économique, sociale et culturelle.
Je ne sais pas si je ressors très optimiste sur notre avenir politique et social après avoir lu ce livre, mais c’est en tout cas une étude sociologique qui me semble de grande qualité, accessible au plus grand nombre, et très utile pour comprendre à la fois les motivations de ce vote croissant pour l’extrême-droite et les déterminants sociologiques derrière ce phénomène politique inquiétant.
Zéro Janvier – @zerojanvier@diaspodon.fr