Zéro Janvier

Chroniques d'un terrien en détresse – Le blog personnel de Zéro Janvier

Premières secousses est un livre collectif du mouvement Les Soulèvements de la terre, publié chez La Fabrique en avril 2024. Il se présente à la fois comme un bilan d’étape après 3 années d’existence de ce collectif écologiste, et comme une réflexion sur les perspectives d’action et d’évolution du mouvement.

Au fil des saisons, nous avons formé des cortèges bigarrés, muni·es de bêches, de mégaphones et de meuleuses, vêtu·es de bleus de travail et de combinaisons blanches, escorté·es par des oiseaux géants... Nous avons traversé les bocages et les plaines, arpenté les vallées industrielles et le bitume des usines – et même frôlé les cimes alpines. Nous nous soulevons pour défendre les terres et leurs usages communs. Contre les méga-bassines, les carrières de sable, les coulées de béton et les spéculateurs fonciers, nous voulons propager les gestes de blocage, d'occupation et de désarmement, pour démanteler les filières toxiques. Nous nous soulevons parce que nous n’attendons rien de ceux qui gouvernent le désastre. Nous nous soulevons parce que nous croyons en notre capacité d’agir.

Depuis des siècles, du nord au sud, des mouvements populaires se battent pour défendre une idée simple : la terre et l’eau appartiennent à tou·tes, ou peut-être à personne. Les Soulèvements de la terre n’inventent rien ou si peu. Ils renouent avec une conviction dont jamais nous n'aurions dû nous départir.

Ce qui frappe d’abord, c’est que les textes proposés dans ce livre sont très vivants. Même quand il s’agit de parler de stratégie, on sent un souffle qui pousse vers l’action avec un désir de « joie militante ». On trouve des récits de luttes, sans oublier les leçons qu'on en tire. Mais aussi des prises de position et des réflexions plus stratégiques, sans masquer les questions encore ouvertes, notamment sur les questions d'organisation et d'articulation entre actions locales et stratégie globale.

C’est un livre passionnant et qui fait du bien, surtout en cette période d’actualité politique angoissante et déprimante. J’aurais pu surligner de nombreux passages, mais j’ai choisi d’en retenir seulement quelques uns, qui m’ont particulièrement marqués et m’ont donné envie de les partager avec vous.

Sur le rôle de l’État :

Il n'y avait pourtant rien à désarmer derrière les grilles. Rien à défendre dans ce cratère. Rien d'autre que l'honneur d'un État qui avait choisi d'en faire le symbole de son autorité retranchée. Mais l'histoire l'a maintes fois démontré, derrière le vernis démocratique et les vestiges de protection sociale, l'État est d'abord et avant tout ce monstre froid qui tue pour défendre les intérêts d'une minorité.

Sur la non-violence :

L’idéologie de la non-violence confond le “bien” et son éthique bourgeoise, discréditant au passage la légitime virulence des protestations populaires à travers le monde. N’est-il pas logique que les classes aisées soient les plus enclines à croire en la possibilité de transformer le système de l’intérieur par des moyens pacifiques et légaux ? Ne faut-il pas jouir de certains privilèges pour livrer sereinement son corps à la police et sa liberté aux juges ?

Sur les rapports entre écologie politique et nature :

Nous entendons tracer une ligne claire entre une écologie qui fait de la nature une norme pour bannir les corps minoritaires, et une écologie qui cherche dans la nature les forces pour renverser les possesseurs et destructeurs de la terre. Trop souvent, ceux qui se revendiquent d'une “terre” ou d'une “nature” vues comme un en dehors figé et idéalisé ne cherchent qu'une chose : asseoir sur une autorité transcendante la violence envers les corps jugés monstrueux ou inférieurs. Pourtant, s'il est une leçon des récents bouleversements écologiques, c'est bien que les humain.es ne sont pas en dehors du monde naturel. L'activité humaine s'avère capable de perturber ce qu'elle pensait être le cadre immuable de son histoire, tandis que le sol sous nos pieds se soulève. La nature n'est pas un espace idéal à protéger ou à imiter. Elle est l'un des noms de l'humaine condition, mais aussi un champ de bataille où s'affrontent des intérêts et des idées. La lutte contre les possédants, nous la menons donc avec des personnes et des organisations qui se battent directement contre le fascisme ou le patriarcat, depuis l'intérieur du mouvement ou en nouant des alliances avec elles.

La nature, pas plus que la nation, ne nous sauvera du déracinement. Si nous voulons défaire les maîtres et possesseurs de la nature, il nous faut construire de nouveaux attachements et nouer des amarres que le mouvement ne tue pas. Pour beaucoup d'entre nous qui vivons sur le sol de vieilles nations occidentales, les liens qui nous relient aux collectivités passées sont précieux, mais trop ténus pour les opposer aux flux déracinants du capital. Au fil des luttes, nous tissons pourtant d'autres liens que ceux du sang et de la propriété. Des liens aux lieux et aux êtres qui se rencontrent lorsqu'on se bat contre un projet d'aménagement ou une réforme néolibérale. Des liens fondés sur l'usage et l'amitié. [...]

Ce qui distingue nos ancrages et nos attachements de l'enracinement réactionnaire, c'est que les communautés que nous construisons ne sont pas encloses dans une illusoire pureté, hérissées de frontières identitaires. Elles sont hospitalières, ouvertes et hybrides. Elles se créolisent et s'enrichissent des contacts noués au fil des vies et des luttes. En cela elles sont vivantes et mouvantes, elles muent et refusent de se figer dans la conservation passéiste d'un toujours ainsi.

Être la nature qui se défend, ce n'est pas camper sir les rives de son territoire pour en repousser de prétendus envahisseurs. C'est au contraire être capable de composer avec une multitude de forces. Avec celleux qui, par leurs histoires, leurs passions ou par nécessité, s'opposent à l'appropriation et inventent ainsi de nouveaux usages des corps et du sol. Nos identités, individuelles ou politiques, ne préexistent pas à nos histoires. Tissons des parentés étendues, qui reposent sur des histoires partagées, des perspectives et des pratiques communes plutôt que sur les seuls liens du sang.

Zéro Janvier@zerojanvier@diaspodon.fr

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Lire News from Nowhere de William Morris, qui décrit une utopie communiste vue par un homme de la fin du XIXe siècle, au moment des élections européennes 2024 dominées en France par l'extrême-droite, de la dissolution de l'Assemblée nationale et des élections législatives qui se préparent, c’est une drôle d’expérience.

Tout au long de ma lecture, j’ai été partagé entre envie, désir d’évasion, et tristesse et amertume face à ces rêves exprimés si joliment non réalisés. Au-delà du contexte de lecture auquel l'auteur ne pouvait évidemment rien, c'est un texte magnifique, parfois maladroit, mais terriblement enthousiasmant. On a envie de vivre dans un monde comme celui qui est décrit, ou en tout cas de lutter pour en faire advenir un qui y ressemble.

Zéro Janvier@zerojanvier@diaspodon.fr

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Je poursuis ma lecture des œuvres de William Morris avec son deuxième roman, The House of the Wolfings, publié en 1889.

L'auteur met en scène des tribus germaniques qui vivent une vie paisible, voire utopique, dans la forêt de Mirkwood. Les tribus s’unissent pour se défendre contre une invasion romaine. Ces romains qui vivent dans des villes, représentants de la « civilisation moderne », viennent en effet pour piller, s’emparer des richesses de la forêt, et remettre en cause le mode de vie ancestral des tribus qui vivaient en paix et en harmonie entre elles et avec leur environnement.

Il faut d’abord s’accrocher un peu, car le vocabulaire et le style sont volontairement archaïques, et il faut accepter que certains dialogues soient écrits en vers. Une fois passé cet obstacle qui n’est pas insurmontable, on peut se laisser happer par un récit à la fois épique et profondément humain, avec des personnages forts et mémorables.

Ce roman est un peu inclassable, entre roman historique, récit mythique, et prémisse d'un genre qui n’existait pas encore : la fantasy historique, car le surnaturel est ici discret, en arrière-plan, mais bel et bien présent.

J’ai beaucoup aimé ce roman, et je comprends désormais mieux pourquoi William Morris est parfois cité comme une source d’inspiration pour J.R.R Tolkien et au-delà pour toute la fantasy du XXe siècle.

Zéro Janvier@zerojanvier@diaspodon.fr

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Après avoir lu l'excellente biographie que E.P. Thomson lui a consacré, j'avais envie de lire les oeuvres littéraires de William Morris. J'ai donc commencé par son premier roman, A Dream of John Ball, publié en 1888.

Dans ce court roman, le narrateur, très probablement William Morris lui-même même s'il n'est pas nommé, raconte un rêve dans lequel il est plongé dans l'Angleterre du XIVe siècle et y rencontre John Ball, le prêtre dissident à l'origine de la Révolte des Paysans. Ils échangent sur leurs sociétés respectives, John Ball découvre que son rêve d'une société égalitaire ne s'est pas encore réalisé au XIXe siècle, mais le narrateur le rassure quelque peu en lui affirmant que son rêve est toujours vivant et que d'autres ont pris le relais pour le réaliser. Ainsi, William Morris nous présente John Ball comme un précurseur d'une longue tradition égalitaire qui s'incarnerait désormais dans le socialisme.

Au-delà des aspects politiques, William Morris montre dans ce texte sa passion pour l'époque médiévale et matérialité, notamment l'architecture. Le contraste entre le village médiéval qu'il visite en rêve et son environnement réel est saisissant, et on sent nettement toute la tradition romantique de l'auteur dans ses descriptions fines et nostalgiques.

Enfin, je dois dire un mot du style, joli, mais parfois un peu “lourd” de ce texte, qui le rend parfois ardu à lire. Si l'intention m'a beaucoup plu, l'exécution m'a un peu déçu.

Zéro Janvier@zerojanvier@diaspodon.fr

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J'avais déjà entendu parler de l'artiste, écrivain et militant socialiste révolutionnaire anglais William Morris. Le fait qu'il soit désormais reconnu comme un “précurseur” de la fantasy, mais aussi ses multiples facettes dont son engagement politique, m'avaient donné envie d'en savoir plus sur lui. J'ai donc fini par lire la biographie que lui avait consacré l'historien E.P. Thomson, d'abord en 1955 puis dans une seconde édition en 1976.

William Morris—the great 19th-century craftsman, designer, poet and writer—remains a monumental figure whose influence resonates powerfully today. As an intellectual (and author of the seminal utopian News from Nowhere), his concern with artistic and human values led him to cross what he called the “river of fire” and become a committed socialist—committed not to some theoretical formula but to the day by day struggle of working women and men in Britain and to the evolution of his ideas about art, about work and about how life should be lived.

Many of his ideas accorded none too well with the reforming tendencies dominant in the labour movement, nor with those of “orthodox” Marxism, which has looked elsewhere for inspiration. Both sides have been inclined to venerate Morris rather than to pay attention to what he said.

In this biography, written less than a decade before his groundbreaking The Making of the English Working Class, E.P. Thompson brought his now trademark historical mastery, passion, wit, and essential sympathy. It remains unsurpassed as the definitive work on this remarkable figure, by the major British historian of the 20th century.

William Morris : Romantic to Revolutionary, le titre suffit normalement à expliquer pourquoi j'ai eu envie de lire cette biographie. Je n'ai pas été déçu, bien au contraire. C'est dense mais c'est une très jolie plongée dans la société victorienne de l'Angleterre du XIXe siècle, dans le mouvement socialiste britannique, et dans la vie d'une personnalité “passionnante et passionnée”, comme on dit. Cela m'a donné encore plus envie de lire les oeuvres littéraires de William Morris.

Zéro Janvier@zerojanvier@diaspodon.fr

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Je lis tous les romans d’Édouard Louis depuis la publication du premier, En finir avec Eddy Bellegueule. Si le « personnage médiatique » Édouard Louis peut parfois me gêner ou m’agacer, j’aime beaucoup l’écrivain et ses textes, à la fois personnels, touchants et engagés. Je n’ai donc pas hésité à lire dès sa sortie son nouveau roman Monique s’évade, consacré à sa mère, comme l’était déjà Combats et métamorphoses d'une femme en 2021.

Une nuit, j’ai reçu un appel de ma mère. Elle pleurait. Elle me disait au téléphone que l’homme avec qui elle vivait était ivre et qu’il l’insultait. En vérité cela faisait plusieurs années que la même scène se reproduisait, systématiquement : cet homme buvait et une fois sous l’influence de l’alcool il l’attaquait avec des mots d’une violence extrême.

Elle qui avait quitté mon père quelques années plus tôt pour échapper à la violence domestique et masculine se retrouvait à nouveau piégée dans ce qu'elle avait cru fuir. Elle me l’avait caché pour ne pas « m’inquiéter » mais cette nuit-là était celle de trop. Je lui ai conseillé de partir, sans attendre. Quelques heures plus tard elle traversait la ville dans la précipitation avec un sac à dos et son chien.

Elle s’évadait.

Dès le lendemain se sont posées les questions de la vie qu’il fallait inventer pour ma mère. Comment vivre, et où, sans argent, sans diplômes, sans permis de conduire, parce qu'on a passé sa vie à élever des enfants et à subir la brutalité masculine ?

Ce livre est le récit d’une évasion.

Les hasards de la vie ont fait que j’ai enchainé la lecture de ce roman après celle d’un autre texte consacré à la mère de son auteur, Vie, vieillesse et mort d’une femme du peuple de Didier Eribon. Le ton est toutefois très différent : là où Didier Eribon relatait les dernières semaines de la vie de sa mère, Édouard Louis raconte un épisode de rupture de sa mère avec l’homme avec lequel elle vivait depuis plusieurs années, ce qui constitue bien sûr un bouleversement, mais qui est aussi l’occasion d’une transformation positive, d’une libération.

Le récit est joliment mené par Édouard Louis et j’ai pris beaucoup de plaisir à suivre les « aventures » de sa mère dans ce court roman. J’ai surtout été saisi par l’émotion en lisant les deux derniers chapitres, qui justifient à eux seuls la lecture de ce livre.

Zéro Janvier@zerojanvier@diaspodon.fr

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J’ai découvert Didier Eribon il y a maintenant plusieurs années avec son essai socio-autobiographique Retour à Reims qui m’avait tant plu et marqué. Je ne vais pas revenir sur toutes les raisons qui m’avaient fait aimer ce livre, mais je m’étais retrouvé en partie dans le récit de son parcours et de son rapport à ses parents, tout en appréciant l’analyse sociologique qu’il faisait de la classe ouvrière et de son évolution. Didier Eribon avait commencé l’écriture de Retour à Reims après la mort de son père. L’année dernière, c’est la mort de sa mère qui a provoqué l’écriture de Vie, vieillesse et mort d’une femme du peuple. J’avais repéré la sortie de ce livre mais je ne m’étais pas précipité dessus, peut-être parce que la mort de ma propre mère était encore trop proche pour que je puisse m’y confronter dans un livre que je devinais puissant. J’ai fini par m’y plonger cette semaine.

Il y a quelques années, la mère de Didier Eribon est entrée en maison de retraite. Après plusieurs mois au cours desquels elle a peu à peu perdu son autonomie physique et cognitive, Didier Eribon et ses frères ont dû se résoudre à l’installer, malgré ses réticences, dans un établissement médicalisé. Mais le choc de l’entrée en maison de retraite fut trop brutal et, quelques semaines seulement après son arrivée, elle y est décédée.

Après la mort de sa mère, Didier Eribon reprend le travail d’exploration personnelle et théorique qu’il avait entrepris dans Retour à Reims après la mort de son père. Il analyse le déclin de sa mère, ce qui l’amène à réfléchir sur la vieillesse et la maladie, sur nos rapports aux personnes âgées et à la mort, mais aussi sur l’expérience du vieillissement. Il s’interroge également sur les conditions de l’accueil des personnes dépendantes.

Il montre que si l’expérience du vieillissement nous est très difficile à penser, c’est parce qu’il s’agit d’une expérience-limite dans la philosophie occidentale, dont l’ensemble des concepts semblent se fonder sur une exclusion de la vieillesse.

Eribon reparcourt également la vie de sa mère, et notamment les périodes où elle était femme de ménage, ouvrière puis retraitée, la saisissant dans toute sa complexité, de sa participation aux grèves à son racisme obsessionnel.

Il conclut sa démarche en faisant de la vieillesse le point d’appui d’une réflexion sur la politique : comment pourraient se mobiliser des personnes qui n’ont plus de mobilité ni de capacité à prendre la parole et donc à dire « nous » ? Les personnes âgées peuvent-elles parler si personne ne parle pour elles, pour faire entendre leur voix ?

Didier Eribon mêle à nouveau témoignage personnel – sur la vie de sa mère et de sa relation avec elle – et analyse philosophique et politique sur la vieillesse, la mort, et leur place dans la société. C’est un mélange qui m’avait beaucoup plu dans Retour à Reims, et qui fonctionne à nouveau très bien ici. Il y a beaucoup de passages très forts où l’auteur parle de sa mère et de leur relation, je m’y suis à nouveau partiellement reconnu. Les derniers chapitres, quand l’auteur part dans des considérations philosophiques, m’ont peut-être moins séduit, mais cela n’enlève rien à la qualité de ce livre.

Zéro Janvier@zerojanvier@diaspodon.fr

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Je connaissais la linguiste Laélia Véron pour le podcast Parler comme jamais qu’elle co-animait avec Maria Candea et que j’écoutais avec plaisir. Certains d’entre vous la connaissent peut-être également pour ses chroniques sur France Inter. Par contre, je ne connaissais pas Karine Abiven, « chercheuse spécialiste du discours à la Sorbonne » d’après Wikipedia, avec qui elle a co-écrit l’ouvrage Trahir et venger, Paradoxes des récits de transfuge de classe, publié en ce mois d’avril 2024 chez La Découverte.

Les récits de transfuges de classe – c'est-à-dire des personnes ayant connu une forte mobilité sociale, souvent ascendante – se sont multipliés ces dernières années, dans des domaines divers (littéraire, sociologique, politique, médiatique) et sur des supports variés (livres, journaux, réseaux sociaux). Comment expliquer un tel succès ? C'est que le récit de transfuge traite aussi bien d'enjeux collectifs (la place des classes populaires, les injustices et les possibilités de réparations sociales) que d'enjeux personnels (le parcours de vie singulier, l'identité fractionnée, l'acceptation de soi), dans une perspective souvent présentée comme politique.

Peut-on à la fois trahir les siens, en changeant de classe, en adoptant d'autres valeurs, voire une autre identité, tout en prétendant les venger, en leur offrant un espace de représentation, en leur rendant une parole publique dont ils et elles sont privées ? Tel est le principal paradoxe du discours de transfuge qui prétend porter une parole populaire mais qui peut être accusé de la confisquer.

En adoptant les outils de l'analyse du discours, ce livre interroge les ambitions du récit de transfuge de classe. Est-il un contre-récit, qui s'oppose aux récits dominants, ou bien est-il devenu, malgré lui, un récit mythique, récupéré par le storytelling médiatique et politique libéral ?

L’ouvrage comporte 6 chapitres qui commencent par définir la notion de transfuge de classe, de dresser la généalogie de cette expression, avant d’entrer dans le détail des caractéristiques et des limites de ces récits :

  1. Récits subjectifs contre catégorisations scientifiques ?
  2. Du traître au vengeur ? Histoire de l’expression « transfuge de classe »
  3. Transfuges partout ? Extension du domaine des récits
  4. Modèles, recettes et subversions du récit de transfuge de classe
  5. Langue dominée et langue dominante : vers un style de transfuge ?
  6. Des récits politiques ? Pouvoir dire « nous »

Les deux autrices proposent une analyse critique des récits de transfuge de classe, à la fois sur le fond et sur la forme : le style, le lexique, la structure des récits, mais aussi leur portée politique et les idées qui les portent ou en émergent consciemment ou inconsciemment.

J’ai trouvé cela très intéressant, souvent pertinent, avec de véritables questions posées sur la nature et les buts des récits de transfuges de classe, mais aussi sur leur réception médiatique et publique, qui peut être en décalage avec les intentions de leurs auteurs. Si comme moi vous êtes à la fois friands de ces récits de transfuge de classe tout en étant parfois agacés ou gênés par leur apparente omniprésence médiatique, je ne peux que vous conseiller de lire ce livre qui en analyse très bien les logiques.

Zéro Janvier@zerojanvier@diaspodon.fr

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Je ne sais plus où j’ai entendu parler de cet ouvrage de la sociologue Rose-Marie Lagrave, mais je sais que c’était très récemment, et en jetant un oeil à mes dernières lectures je fais l’hypothèse que c’était dans Littérature et Révolution de Joseph Andras et Kaoutar Harchi. Je pense que c’était Kaoutar Harchi qui citait ce livre comme un bon exemple de récit de transfuge de classe qui ne se contente pas d’être un récit de vie mais propose également – et surtout – une analyse sociologique, et politique, de ce parcours.

Dans cet ouvrage, Rose-Marie Lagrave retrace en sociologue et féministe son parcours de fille de famille nombreuse, enracinée en milieu rural, que rien ne prédestinait à s'asseoir sur les bancs de la Sorbonne puis à devenir directrice d'études à l'EHESS : une migration sociale faite de multiples aléas et bifurcations, où dominations de classe et de genre s'entremêlent.

Mobilisant un vaste corpus théorique et littéraire, l'autrice ouvre sa malle à archives et la boîte à souvenirs. De ses expériences de boursière à ses engagements au MLF et sa pratique du métier de sociologue, sans oublier les membres de sa famille, elle exhume et interroge les traces des événements et rencontres qui l'ont construite, remettant en cause les récits dominants sur la méritocratie, le mythe d'un « ascenseur social » décollant par la grâce de talents exceptionnels et les stéréotypes sur les transfuges de classe. Parvenue à l'heure des bilans, elle questionne avec la même ténacité la vieillesse et la mort.

Contre les injonctions à « réussir » et à « rester soi », cette enquête autobiographique invite à imaginer de nouvelles formes d'émancipation par la socioanalyse : se ressaisir, c'est acquérir un pouvoir d'agir permettant de critiquer les hiérarchies sociales et de les transgresser.

Il faut le dire tout de suite : même si le déroulé de l’ouvrage suit une trame chronologique (l’enfance, l’école, le lycée, les études supérieures, la carrière universitaire et les engagements féministes, puis la retraite et la vieillesse), il ne constitue pour autant pas une autobiographie. C’est avant tout une enquête autobiographique où l’autrice passe son parcours au prisme sociologique.

Le texte comporte beaucoup de réflexivité et j’ai trouvé cela passionnant. J’ai beaucoup aimé le discours de Rose-Marie Lagrave sur la notion de « mérite » (qu’elle réprouve) et sur le rôle de l’État et des conditions socio-économiques dont elle a bénéficié à l’époque, notamment par son statut de boursière. Elle en profite pour regretter que ce modèle social, aussi imparfait fut-il, soit attaqué et sévèrement remis en cause désormais.

Zéro Janvier@zerojanvier@diaspodon.fr

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Je connaissais Clément Viktorovitch pour ses chroniques sur France Info, que je vois parfois passer dans mon fil Mastodon. Je l’ai également vu récemment comme invité dans l’émission La France a peur animée par Usul pour Blast. Son livre Le pouvoir réthorique publié il y a quelques années y a été évoqué, et cela m’a donné envie de le lire.

La rhétorique est partout. Dans les discours politiques comme dans les spots publicitaires. Dans les réunions professionnelles comme dans les dîners de famille. Dans les entretiens d’embauche comme dans les rendez-vous galants. Pas un jour ne passe sans que nous ayons à défendre une idée, un projet, un produit ; et à nous protéger contre d’éventuelles fourberies. Que cela nous plaise ou non, convaincre est un pouvoir. À nous d’apprendre à le maîtriser.

Et de savoir y résister.

Car la rhétorique n’est ni innée, ni inexplicable. Elle repose sur une technique, obéit à des règles, mobilise des procédés, des stratagèmes, des outils. Dans ce traité accessible et concret, ponctué d’exemples et de cas pratiques, Clément Viktorovitch nous en révèle tous les secrets. Au fil des pages, il nous montre comment produire et décrypter les discours, mener les débats et les discussions, déjouer les manipulations.

L’art de convaincre est un pouvoir trop grand pour ne pas être partagé !

L’ouvrage comprend 8 grands chapitres :

  1. Comprendre la rhétorique
  2. Choisir les arguments
  3. Structure sa pensée
  4. Façonner son texte
  5. Mobiliser les émotions
  6. Travailler son apparence
  7. Reconnaître la tromperie
  8. Maîtriser le débat

Ce que j’ai beaucoup apprécié dans ce livre, c’est que l’auteur a trouvé l’équilibre parfait entre la présentation des concepts théoriques et des exemples pour les illustrer et les expliquer. Alors que le sujet pourrait parfois être aride, cela rend la lecture particulièrement fluide et vivante. Par contre, le contenu est très dense et je ne suis pas certain de pouvoir retenir tout ce que j’ai appris pendant cette lecture, et encore moins de m’en souvenir le moment venu, lorsque j’aurais l’occasion de m’en servir. Clément Viktorovitch propose en tout cas un ouvrage à la fois savant et pratique sur un sujet essentiel pour la vie démocratique.

Zéro Janvier@zerojanvier@diaspodon.fr

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