Vie, vieillesse et mort d'une femme du peuple (Didier Eribon)

J’ai découvert Didier Eribon il y a maintenant plusieurs années avec son essai socio-autobiographique Retour à Reims qui m’avait tant plu et marqué. Je ne vais pas revenir sur toutes les raisons qui m’avaient fait aimer ce livre, mais je m’étais retrouvé en partie dans le récit de son parcours et de son rapport à ses parents, tout en appréciant l’analyse sociologique qu’il faisait de la classe ouvrière et de son évolution. Didier Eribon avait commencé l’écriture de Retour à Reims après la mort de son père. L’année dernière, c’est la mort de sa mère qui a provoqué l’écriture de Vie, vieillesse et mort d’une femme du peuple. J’avais repéré la sortie de ce livre mais je ne m’étais pas précipité dessus, peut-être parce que la mort de ma propre mère était encore trop proche pour que je puisse m’y confronter dans un livre que je devinais puissant. J’ai fini par m’y plonger cette semaine.

Il y a quelques années, la mère de Didier Eribon est entrée en maison de retraite. Après plusieurs mois au cours desquels elle a peu à peu perdu son autonomie physique et cognitive, Didier Eribon et ses frères ont dû se résoudre à l’installer, malgré ses réticences, dans un établissement médicalisé. Mais le choc de l’entrée en maison de retraite fut trop brutal et, quelques semaines seulement après son arrivée, elle y est décédée.

Après la mort de sa mère, Didier Eribon reprend le travail d’exploration personnelle et théorique qu’il avait entrepris dans Retour à Reims après la mort de son père. Il analyse le déclin de sa mère, ce qui l’amène à réfléchir sur la vieillesse et la maladie, sur nos rapports aux personnes âgées et à la mort, mais aussi sur l’expérience du vieillissement. Il s’interroge également sur les conditions de l’accueil des personnes dépendantes.

Il montre que si l’expérience du vieillissement nous est très difficile à penser, c’est parce qu’il s’agit d’une expérience-limite dans la philosophie occidentale, dont l’ensemble des concepts semblent se fonder sur une exclusion de la vieillesse.

Eribon reparcourt également la vie de sa mère, et notamment les périodes où elle était femme de ménage, ouvrière puis retraitée, la saisissant dans toute sa complexité, de sa participation aux grèves à son racisme obsessionnel.

Il conclut sa démarche en faisant de la vieillesse le point d’appui d’une réflexion sur la politique : comment pourraient se mobiliser des personnes qui n’ont plus de mobilité ni de capacité à prendre la parole et donc à dire « nous » ? Les personnes âgées peuvent-elles parler si personne ne parle pour elles, pour faire entendre leur voix ?

Didier Eribon mêle à nouveau témoignage personnel – sur la vie de sa mère et de sa relation avec elle – et analyse philosophique et politique sur la vieillesse, la mort, et leur place dans la société. C’est un mélange qui m’avait beaucoup plu dans Retour à Reims, et qui fonctionne à nouveau très bien ici. Il y a beaucoup de passages très forts où l’auteur parle de sa mère et de leur relation, je m’y suis à nouveau partiellement reconnu. Les derniers chapitres, quand l’auteur part dans des considérations philosophiques, m’ont peut-être moins séduit, mais cela n’enlève rien à la qualité de ce livre.

Zéro Janvier@zerojanvier@diaspodon.fr

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