Zéro Janvier

Chroniques d'un terrien en détresse – Le blog personnel de Zéro Janvier

Une République à bout de souffle est un essai publié au Seuil dans la collection Libelle qui propose des textes courts signés par des auteurs engagés. C’est le cas de Fabien Escalona, docteur en science politique, journaliste au pôle politique de Mediapart, et donc auteur de cet essai consacré à la crise que traverse la Ve République.

La crise de régime que nous vivons en France n’est pas qu’une affaire de droit constitutionnel. Elle touche les institutions, mais aussi les compromis sociaux et l’horizon de sens donné au pays. Sur ces trois dimensions, la Ve République accumule désormais les contradictions et les archaïsmes. Sa vulnérabilité augmente face aux tentations autoritaires. Un nouveau partage des pouvoirs serait salvateur, pour une République enfin sociale et écologique.

L’introduction part du constat d’une année politique 2022 marquée par une campagne présidentielle amorphe, sans réel débat de fond, suivie d’élections législatives qui ont privé le président tout juste réélu d’une majorité absolue dont il avait bénéficié, comme la plupart de ses prédécesseurs, lors de son premier mandat. Pour Fabien Escalona, il s’agit de l’aboutissement d’une crise démocratique et politique majeure.

L’auteur déroule ensuite son analyse et son argumentaire dans 5 courts chapitres :

  1. Une crise rampante de légitimation, qui analyse la crise de représentation et le fossé grandissant entre la nation et ses représentants
  2. La cohérence initiale de la Ve, qui rappelle les circonstances de la naissance de la Ve République et les trois piliers sur lesquels étaient basés la légitimité du régime : la primauté et l’autonomie de l’exécutif ; une prospérité visible et (relativement partagée) ; la grandeur maintenue d’une nation devenue post-impériale
  3. La désarticulation du régime, qui montre comment ces trois piliers ont été fragilisés voire se sont effondrés au cours des dernières décennies
  4. Le macronisme comme « garant en dernier ressort » du régime, où l’auteur explique l’épisode macroniste débuté en 2017, loin de remettre en cause les fondamentaux de la Ve République, en est le dernier avatar ; si le macronisme a profité de la décomposition des deux grands partis historiques de la Ve République, il est aussi la dernière tentative de maintenir en vie un régime à l’agonie
  5. Pour un nouveau régime, où Fabien Escalona fait des propositions pour rénover la vie politique et sociale, en en garde contre des rénovations purement cosmétiques de nos institutions et appelant d’abord à la fondation d’un nouveau contrat social qui devra ensuite inspirer un nouveau régime à construire

Avec ses cinquante pages, le texte va à l’essentiel , le style est clair, et c’est très bien ainsi. Je l’ai lu en une petite heure ce matin, ce fut une lecture agréable et qui éclaire les débats contemporains.

Zéro Janvier@zerojanvier@diaspodon.fr

Discuss...

Recognize Fascism est une anthologie de nouvelles en langue anglaise, publiée en 2020 chez World Weaver Press sous la direction de Crystal M. Huff.

Across many worlds and many timelines, these stories depict the moments when people see the fascism in front of them for what it is, accept it as real, and make the choice to fight it. Who are the canaries in the coal mine? When can the long-hidden voice no longer be ignored? Anti-fascist rebellion can take many forms. A transgender woman living on an artificial satellite learns to reject oppression via poetry. A machine ethicist finds a way to dance with her gods in a surveillance state. An unlikely golem hears a new call to action. A jailed musician rediscovers the music of rebellion.

Will you recognize fascism and join the revolution?

Toutes les nouvelles de ce recueil appartiennent au genre des littératures de l’imaginaire : ici, cela va de la fantasy à la science-fiction lointaine façon space-opéra, en passant par l’anticipation plus proche de nous (géographiquement et temporellement).

L’autre point commun des textes regroupés dans cet ouvrage, c’est leur thématique : elles mettent toutes en scène des personnages en lutte contre des sociétés fascistes ou pré-fascistes. Dans la plupart des cas, ce sont des personnages marginalisés d’une façon ou d’une autre : racisés, LGBT, atteints de troubles mentaux … et il arrive que certains protagonistes cumulent plusieurs de ces « étiquettes ». C’est évidemment un parti pris des auteurs et de l’éditrice de cette anthologie : donner la parole à celles et ceux qui souffrent le plus du péril fasciste.

Ce qui traverse chacune des nouvelles, c’est la question de la prise de conscience et de la mise en action d’individus lambda face à la menace fasciste, qu’elle soit encore latente ou déjà imprégnée dans la société.

Le recueil regroupe 22 courtes nouvelles : elles dépassent rarement la vingtaine de pages, je pense que la moyenne doit se situer entre dix et quinze pages par nouvelle. Cette relative brièveté des textes ne m’a pas dérangé, car chacun des 22 auteurs parvient à donner vie à son univers en quelques pages. On passe d’un monde à l’autre et on perçoit chaque fois parfaitement ce qui est fait la spécificité. On tremble aussi en reconnaissant parfois sous d’autres formes la menace brune à laquelle nous sommes malheureusement habitués de nos jours.

Hormis quelques rares nouvelles, trois ou quatre au grand maximum, que je n’ai pas réussi à apprécier, j’ai beaucoup aimé ce recueil . Outre l’importance à mes yeux du thème, j’ai trouvé que les nouvelles choisies par l’éditrice se complétaient parfaitement tout en formant un ensemble cohérent. Les styles varient, tout comme les émotions ressenties pendant la lecture : la peur, la rage, la tristesse, mais aussi l’envie d’agir, l’espoir, et même une joie teintée de mélancolie en lisant ce premier baiser entre deux jeunes garçons à la veille d’une guerre qui s’annonce sanglante.

En lisant la préface, j’ai découvert l’existence d’une autre anthologie dirigée par Crystal M. Huff sur une thématique similaire Resist Fascism, publiée en 2018, soit deux ans avant celle-ci. Je suis très tenté, il est probable que je vous en reparle prochainement !

Zéro Janvier@zerojanvier@diaspodon.fr

Discuss...

Je suis un peu embêté au moment de refermer ce livre de Didier Eribon, dont j’avais adoré l’essai semi-autobiographique Retour à Reims.

J'ai beaucoup aimé les deux premières parties. La première, sur l'injure comme cause et ciment de l'identité gay, est claire et convaincante. La deuxième, sur l'histoire de l'homosexualité dans la littérature, à travers notamment les figures d'Oscar Wilde, de Marcel Proust et d'André Gide, est peut-être un peu plus verbeuse mais reste intéressante.

Par contre, j'ai totalement décroché dans la troisième partie, consacrée à l'oeuvre de Michel Foucault. Peut-être aurait-il fallu que je sois initié au préalable aux travaux du philosophe, toujours est-il que j'ai trouvé cette partie moins accessible. J'ai donc survolé les derniers chapitres, à regret.

Zéro Janvier@zerojanvier@diaspodon.fr

Discuss...

Neo Babylon Nights est un recueil de nouvelles se déroulant dans l’univers de Neo Babylon, créé par l’éditeur Fragging Unicorns Games. Il s’agit d’un univers cyberpunk fantasy qui sert de cadre à leurs jeux Gangs of the Undercity et Subversion.

Pour décrire rapidement cet univers, j’aurais tendance à le définir comme un Shadowrun anarchiste : côté cyberpunk, il y a des hackers, des implants cybernétiques, des corporations, des flics violents et corrompus (qui a dit « pléonasme ? ») ; côté fantasy, on retrouve des elfes, des nains, des orcs, de la magie ; on retrouvait ce mélange des genres dans Shadowru, mais ici l’accent est mis sur des personnages au service de leur communauté, en lutte contre les dominants. Leur mot d'ordre : communauté, action directe, révolution, espoir. En bref : du cyberpunk, mais sans oublier le punk.

Le recueil regroupe onze nouvelles, par onze auteurs et autrices différentes. Dans le détail, on trouve :

  1. Sacred Band de Russell Zimmerman, qui nous présente un groupe de musiciens qui se retrouve au centre d'une révolte populaire
  2. Neo Babylon Beat de Thea Dane, avec une histoire de santé, de magie et d’amour sous l'ombre d'une corporation
  3. Musings of a Matchmaker de Holly Lynn-Greeley Bryant, qui met en scène une entremetteuse très douée pour mettre en relation des personnes, et pas seulement pour former des couples
  4. Parkourier de Clinton Lambert qui raconte la journée d'un contrebandier
  5. A Monopoly on Violence de Ian Boley, entre innovation technologique et guerre des gangs
  6. Prefall de W.F. Cain, qui s’intéresse à la question de l’anxieté et de l’amitié au cours d’une expédition dangereuse
  7. Pride and Prophecy de James Palmer, où on retrouve une tueuse à gage aux prises avec une prophétie
  8. Worlds Apart d’Aiden Jordan, qui met en scène une combattante dévouée à sa communauté
  9. Sevens d’Azathere Lawbringer, qui mêle complot, surveillance de masse et techno-capitalisme
  10. Fresh Ground de Mak Shepard, où la narratrice en pleine réinsertion après sa sortie de prison lutte pour la survie d'un petit commerce de proximité face à une chaîne de franchises
  11. When on High de O.C. Presley, raconte la genèse et la mythologie du monde de Neo Babylon

Contrairement à certains recueils de nouvelles qui alternent le bon et le moins bon, l’ensemble est ici homogène, et plutôt du côté du bon voire du très bon. J’ai eu quelques coups de coeur, notamment pour la première nouvelle, mais elles m’ont toutes plu à leur façon, notamment parce que chacune permettait d’explorer un aspect particulier de l’univers.

Zéro Janvier@zerojanvier@diaspodon.fr

Discuss...

Après King King Théorie de Virginie Despentes, je poursuis mes lectures féministes avec Sorcières – La puissance invaincue des femmes, un essai de la journaliste Mona Chollet publié en 2018.

Dans une longue mais passionnante introduction, l’autrice nous présente la figure de la sorcière, dans son historicité et dans ses représentations et renaissances contemporaines. Elle revient évidemment sur les chasses aux sorcières avant lieu pendant la Renaissance, point de départ de sa réflexion.

Le livre propose ensuite trois chapitres consacrés à trois aspects de la sorcière et donc de la femme rejetée par la société : 1. La femme célibataire, indépendante 2. La femme sans enfant, qui n’en désire pas 3. La vieille femme

Dans un dernier chapitre qui fait aussi office de conclusion, Mona Chollet explore comment les épisodes de chasses aux sorcières ont à la fois symbolisé et mis en pratique un rapport au monde guerrier à l’égard des femmes et de la nature, faisant ainsi un lien entre féminisme et écologie.

Le propos est clair et bien documenté. J’ai apprécié les allers-retours entre l’Histoire et la société contemporaine, comme autant de ponts entre la figure historique de la sorcière et notre rapport actuel à la féminité et plus généralement aux rapports entre les femmes et les hommes.

Dans un style très différent de celui de Virginie Despentes mais tout autant convaincant, Mona Chollet propose un essai passionnant que j’ai pris plaisir à lire, malgré ou grâce au fait qu’il bouscule des idées préconçues. J’ai beaucoup appris en lisant ce livre, et c’est bien là l’essentiel !

Zéro Janvier@zerojanvier@diaspodon.fr

Discuss...

En tant qu’homosexuel et porteur d’un handicap physique, je suis sensibilisé aux questions de domination, d’oppression et de lutte des minorités. Pourtant, le féminisme a longtemps été un angle mort de mon rapport au politique : il m’a fallu quelques lectures et écoutes pour ouvrir les yeux, pour commencer à m’y intéresser et surtout à comprendre que ces questions ne sont pas accessoires, que la lutte contre la domination masculine est indissociable de la lutte contre la domination capitaliste.

Depuis, je cherche à m’éduquer, à me renseigner et à me documenter à ce sujet. C’est ainsi que j’ai commencé il y a quelques semaines à écouter Les couilles sur la table, un podcast créé et animé par Victoire Tuaillon où la journaliste aborde la construction des masculinités d’un point de vue féministe. À l’occasion d’une série de 4 épisodes, elle a reçu et interviewé Virginie Despentes, que je connaissais que « de loin » et que j’ai pu réellement découvrir à cette occasion.

J’avais sans doute déjà vu ou entendu l’autrice et réalisatrice dans des émissions de télévision ou de radio, je connaissais son engagement politique et féministe, j’avais constaté le succès de sa série de romans « Vernon Subutex » que je voyais beaucoup dans les transports en commun à une époque, mais je n’avais jamais lu ses livres ni vu ses films. Dans le podcast, elle parlait notamment de son essai féministe King Kong Théorie publié en 2006, dont j’avais déjà entendu beaucoup de bien. Cette fois, je me suis dit que c’était le moment de combler cette lacune.

Dès les premiers pages, dès les premières lignes, le constat est frappant : c’est une écriture coup de poing, presque orale mais que l’on devine travaillée. Il faut du talent pour poser sur le papier des phrases aussi fluides et puissantes. Sans vouloir tomber dans le cliché, on sent que c’est un texte qui vient des tripes.

En 160 pages, Virginie Despentes nous parle de féminité et dénonce la place respective des femmes et des hommes dans notre société. Les chapitres sont courts et vont à l’essentiel :

  1. Bad Lieutenantes : prologue, où l’autrice se place du côté des « moches », des « exclues du marché de la bonne meuf » tout en fustigeant l’idéal de la femme blanche et convenable véhiculé par l’art et la culture
  2. Je t'encule ou tu m'encules ? : révolution sexuelle des années 1970 mais sans remise en cause de la répartition des tâches domestiques et plus globalement des rapports de force entre hommes et femmes dans la société
  3. Impossible de violer cette femme pleine de vice : le viol
  4. Coucher avec l'ennemi : la prostitution
  5. Porno Sorcières : le porno
  6. King Kong Girl : la féminité et la domination masculine, les rapports de classe
  7. Salut les filles : épilogue, où Virginie Despentes appelle à accompagner la révolution féministe d’une véritable émancipation masculine ; elle nous invite, en tant qu’hommes, à avoir le courage de nous libérer du carcan masculiniste et viriliste

Je débarque évidemment après toutes celles et tous ceux qui ont lu ce livre depuis sa sortie, bien avant moi. Si vous ne l’avez pas déjà lu, je ne peux que vous inviter à le faire, que vous soyez un homme ou une femme, et peut-être plus encore si vous êtes un homme.

Zéro Janvier@zerojanvier@diaspodon.fr

Discuss...

Après avoir terminé le cycle de fantasy Earthsea d’Ursula K. Le Guin et un bref interlude politique avec l’essai Parasites de Nicolas Framont, j’avais prévu de m’attaquer à un gros morceau de la fantasy contemporaine : les dix pavés du cycle malazéen de Steven Erikson.

Sauf que ma passion pour l’histoire, la politique, et donc pour l’histoire politique, s’est rappelée à moi et je n’ai pas pu résister : j’ai en effet regardé le week-end dernier les deux premiers volumes de l’excellent documentaire « Ni dieu ni maître, une histoire de l’anarchisme » de Tancrède Ramonet. Dans le générique de fin, j’ai remarqué une mention indiquant que le deuxième épisode devait son titre, La mémoire des vaincus, à un roman de Michel Ragon. Ce titre me disait quelque chose, et pour cause : j’avais déjà acheté ce livre, qui m’attendait sur ma liseuse. Je me suis dit que la coïncidence était trop belle pour ne pas saisir l’occasion : Steven Erikson et ses pavés de près de mille pages pourraient bien attendre une semaine de plus !

Je ne connaissais pas Michel Ragon avant d’ouvrir son roman. Wikipedia m’apprend qu’il est écrivain, critique d’art et littéraire, et historien de l’architecture. Lui-même libertaire, il s’est également intéressé à la littérature prolétarienne et à l’histoire de l’anarchisme. C’est cette thématique qu’il aborde dans La mémoire des vaincus et qui m’avait fait acheter ce roman il y a quelques mois.

Dans cette fresque historique publiée en 1989, à travers la vie du personnage fictionnel d'Alfred Barthélémy et en croisant des figures historiques majeures ou en partie oubliées, l'auteur nous raconte une histoire politique du XXe siècle vue à travers le regard d'un militant anarchiste parisien.

Dans le prologue, le narrateur, alors jeune adulte, rencontre Fred Barthélémy à la fin des années 1940, alors que celui-ci est bouquiniste sur les quais de Seine. Ils se lient d’amitié autour de la littérature libertaire, avant de se perdre de vue. Lorsqu’ils se retrouvent au début des années 1980, le bouquiniste est un vieillard auquel il ne reste que quelques années à vivre. Le narrateur entreprend alors d’écrire la biographie de celui qui a été son guide en politique.

Le récit de la vie mouvementée d’Alfred Barthélémy se déroule alors en cinq longs chapitres :

La petite fille dans la charrette aux poissons (1897-1917) : les jeunes années de Fred, orphelin parisien amoureux des livres, qui rencontre Flora, son premier amour qui saisit la première occasion de fuir sa famille ; c’est la découverte de l’anarchisme et de l'impasse de la propagande par le fait, lorsque Fred se lie un temps avec la bande à Bonnot ; c’est aussi la plongée dans l’horreur de la guerre et des tranchées.

Les poubelles du camarade Trotsky (1917-1924) : comme son titre et ses bornes chronologiques l’indiquent, ce long chapitre est consacré à la révolution russe ; envoyé par l’armée française à Moscou comme traducteur en raison de sa maîtrise de la langue russe, Fred déserte et rejoint la révolution bolchevique ; c’est sans doute ma partie préférée du livre, car elle résume à elle seule l’histoire de l’anarchisme au XXe siècle : des espoirs, des erreurs, des trahisons, des désillusions, des impasses, des échecs, des défaites sanglantes comme celle de la révolte de Cronstadt à laquelle le livre consacre de sublimes pages.

L’ogre de Billancourt (1924-1935) : expulsé d’Union Soviétique par un pouvoir qui n’accepte plus la contestation, Fred Barthélémy vit un retour difficile à Paris : après des années comme bureaucrate, il revient à la vie ouvrière, avec à la fois sa fierté et son ennui ; d’abord dégouté de la politique, rejeté par les communistes mais aussi par les anarchistes qui lui reprochent ses compromissions avec les bolchéviques à Moscou, il reprend finalement une activité militante dans les milieux libertaires ; il en profite pour écrire le récit de ses années russes où il dénonce la dérive du pouvoir bolchévique, un témoignage qui restera cependant inaperçu.

L’affront populaire (1936-1938) : très méfiant vis-à-vis du Front populaire qui se met en place à Paris, Fred est surtout attiré par l’Espagne, sa guerre civile et sa révolution sociale libertaire ; c’est une nouvelle défaite des anarchistes, trahis par les staliniens et défaits sur deux fronts ; c’est aussi, bien sûr, la montée du fascisme et le terrible engrenage vers la Seconde Guerre Mondiale.

Le bouquiniste (1939-1957) : dans les années d’après-guerre, Fred Barthélémy vit individuellement et collectivement l’isolement et le découragement des anarchistes, alors que les communistes triomphent, auréolés de leur engagement dans la Résistance et de la victoire de Staline ; ce sont des années de repli sur soi et de retour aux sources.

L’épilogue relate les années 1982 à 1985 : le narrateur a retrouvé Fred Barthélémy et commence à rassembler les souvenirs du vieil homme et de ses proches pour écrire l’histoire de sa vie et de ses combats. Ce sont les dernières années de la vie de Fred Barthélémy, c’est le temps du bilan, mitigé et nostalgique.

Avec cette biographie semi-fictive (le personnage d’Alfred Barthélémy est inspiré de plusieurs figures de l’anarchisme français), Michel Ragon nous offre une belle mais tragique histoire de l’anarchisme, mais aussi une histoire de transmission de la mémoire ouvrière et prolétarienne.

Alors que le mouvement libertaire a perdu le rayonnement de ses années de gloire, alors qu’il porte pourtant en lui des réponses aux enjeux d’aujourd’hui, ce livre me semble une lecture essentielle. Pour connaître notre histoire, toute notre histoire, découvrir ou redécouvrir les combats de celles et ceux qui nous ont précédé et, peut-être, apprendre de leurs erreurs.

Zéro Janvier@zerojanvier@diaspodon.fr

Discuss...

Dans la célèbre collection « pour les Nuls » à couverture jaune et noire, « La Sociologie pour les Nuls” a été rédigé par Jay Grabler pour l'édition originale en anglais et Alexis Trémoulinas pour l'adaptation française. Je parle bien d’adaptation et non de traduction car on sent qu’une partie du texte et notamment le choix certains exemples ont été adaptés pour le lecteur français, ce qui est me semble bienvenu pour un ouvrage de vulgarisation

Cela faisait un moment que je voulais m'intéresser la sociologie en tant que discipline scientifique, qui me semble un complément utile à mon intérêt pour l'histoire et pour la politique. Quand je suis tombé sur ce livre en visitant cette semaine ma médiathèque préférée (c’est-à-dire le plus proche de chez moi), je me suis dit que c'était l'occasion idéale, et je l’ai donc emprunté.

Le résultat a été conforme à mes attentes : c’est un ouvrage de vulgarisation qui prend le lecteur par la main pour lui faire découvrir progressivement son sujet, ici la sociologie.

Après une introduction qui présente l’organisation du livre et les conventions utilisées (notamment les icônes mettant en évidence certains passages), l’ouvrage entre dans le vif du sujet, dont je propose ici une table des matières synthétique avec les principales thématiques abordées :

1ère partie : Le B.A.-B.A. de la sociologie – définition de la sociologie et des principaux concepts que cette discipline manipule – place et rôle de la sociologie dans notre société – histoire de la sociologie : du « triumvirat » des fondateurs de la sociologie (Marx, Durkheim, Weber) à aujourd’hui, en passant par la sociologie de terrain de « l’école de Chicago » et celle de Pierre Bourdieu – les méthodes de la sociologie (notamment méthodologie quantitative et/ou qualitative)

2ème partie : Voir la société à travers les yeux du sociologie – la socialisation et la culture – la microsociologie – les réseaux sociaux (au sens large, pas uniquement ceux que nous connaissons sur le web)

 3ème partie : Division et union, Egalité et inégalité dans un monde divers – la stratification sociale : revenu prestige, dynamiques : moyennisation ou polarisation, mobilité sociale – l’ethnicité : préjugés et discrimination ; race, couleur de peau et ethnicité – le genre : hommes et femmes, déconstruction de la notion de genre, droits des LGBT – la religion : sa place dans l’histoire, croyances et pratiques – la déviance et la délinquance : délinquants et criminels, construction sociale des crimes et délits

4ème partie : Les arcanes de l’organisation sociale – l’entreprise : culture d’entreprise, bureaucratie – mouvements sociaux et sociologie politique : l’Etat, le partage du pouvoir, mouvements sociaux et changement social – sociologie urbaine et démographie : villes, quartiers

5ème partie : La sociologie dans votre vie – la famille et le cours de la vie : construction sociale de l’âge, chemin de vie, santé, famille – changements sociaux : évolution des sociétés, mondialisation, technologie, croissance de la classe moyenne, l’avenir de la sociologie

6ème partie : La partie des Dix – 10 bouquins accessibles pour découvrir la sociologie – 10 regards sociologiques sur notre quotidien – 10 mythes déboulonnés par la sociologie

Globalement, j’ai apprécié la lecture de ce livre. C’est un bon ouvrage de vulgarisation, peut-être un daté par certains aspects (la présence de MySpace aux côtés de Facebook parmi les réseaux sociaux cités m’a fait rire). Cela me semble une bonne porte d’entrée dans une discipline dont on entend souvent parler dans les médias mais dont on connait assez peu les arcanes. Cela m’a en tout cas donné envie d’en savoir plus : après cette lecture je suis d’autant plus convaincu que la sociologie est un complément intéressant quand on s’intéresse à l’histoire et à la politique.

Zéro Janvier@zerojanvier@diaspodon.fr

Discuss...

Nicolas Framont est le rédacteur en chef de Frustration, un magazine en ligne dont je suis un lecteur assidu depuis quelques années. J’en apprécie la ligne éditoriale : un engagement fort que l’on peut situer dans la « gauche radicale » du spectre politique, à savoir une gauche qui lutte pour une transformation radicale de la société ; on y parle ouvertement de lutte des classes, de bourgeoisie et de sous-bourgeoisie, de complicité entre Etat et capital, et des moyens pour la classe laborieuse de renverser la domination et l’oppression qu’elle subit.

On retrouve ce combat et ces thématiques dans Parasites, l’ouvrage que vient de publier Nicolas Framont. Le projet du livre apparait clairement dans son titre et dans la citation mise en avant sur la couverture : « Les classes bourgeoises sont des parasites qui se nourrissent de notre travail, de nos impôts, de notre vie politique, de nos besoins et de nos rêves … ». Il s’agit de dénoncer la classe sociale dominante et ses pratiques parasitaires vis-à-vis du reste de la société qu’elle entend continuer à dominer.

Après une introduction qui a pour but de « désigner l’adversaire », l’ouvrage comporte quatre grandes parties :

Anatomie : pour rendre visible la classe bourgeoisie, la décrire en tant que classes dominante et présenter son modèle de reproduction (par l’héritage, l’exploitation et l’accumulation de capital), à travers le parcours de plusieurs « capitaines d’industrie » à la française, loin des biographies hagiographiques des magazines mainstream qui effacent bien souvent les étapes les moins conformes au récit dominant souhaitant glorifier l’esprit entrepreneurial de ces dirigeants géniaux, surhumains et visionnaires.

Toxicité : pour décrire les moyens mis en oeuvre par la bourgeoisie pour assoir sa domination sociale et culturelle, notamment à travers la complicité d’une sous-bourgeoisie (la fameuse « élite culturelle ») et d’une petite bourgeoisie (professions libérales, artisans, commerçants) ; l’auteur montre notamment comme les valeurs bourgeoises ont envahi la sphère culturelle et idéologique au point que ces valeurs sont désormais intériorisées, y compris au sein des classes laborieuses : la « valeur travail », la fameuse « méritocratie républicaine » et son « ascenseur social », l’individualisme, le développement personnel comme solution individuelle à des problèmes collectifs, etc.

Symptômes : pour expliquer les grands maux dont la classe bourgeoise est responsable : la grande dépossession, la grande subvention, la grande complexification, la grande démission, et la grande destruction ; l’auteur illustre chacun de ces concepts par des exemples concrets et raconte ainsi l’histoire de l’essor du néolibéralisme, la complicité servile de l’Etat, et ses effets sur la société ; le chapitre s’achève sur une revue rapide des faux remèdes qui à ses yeux (et aux miens) se trompent d’adversaire, parfois volontairement pour détourner l’attention : le repli identitaire (« les étrangers et notamment les musulmans sont une menace pour notre civilisation »), la surenchère néolibérale (« cela ne marche pas, il faut donc aller toujours plus loin »), et le souverainisme (« L’Union européenne est un carcan qui empêche les Etats-nations de mener des politiques sociales », comme si les gouvernements nationaux auraient la moindre velléité de mener des politiques différentes sans les soi-disant contraintes de l’Union européenne, bouc-émissaire bien facile pour nos gouvernements successifs).

Remèdes : après avoir sensiblement cassé le moral du lecteur dans les trois premières parties, l’auteur tente d’apporter un peu d’optimisme avec des pistes et des propositions pour s’attaquer aux problèmes qu’il a décrits jusque là ; je ne sais pas si j’ai été totalement rassuré, mais c’est tout de même très bien pensé et porteur d’espoir.

Nicolas Framont a un parcours où il a porté plusieurs casquettes, tour à tour et parfois en même temps. Sociologue de formation, il a enseigné à la Sorbonne, il a été assistant parlementaire pour La France Insoumise (dont il s’est éloigné depuis), il a co-fondé le magazine Frustration, dont il assure la rédaction en chef en parallèle d’une activité agricole, et le livre évoque également ses interventions auprès de CSE de plusieurs entreprises pour des missions d’expertise et d’accompagnement auprès des représentants du personnel. Ces expériences multiples enrichissent le livre, où on retrouve à la fois des réflexions théoriques rigoureusement étayées (on retrouve la pratique universitaire d’indiquer les sources en notes de bas de page) et des exemples concrets tirés de l’expérience du terrain.

Par certains aspects, ce livre peut faire penser à l’excellent Histoire de ta bêtise de François Bégaudeau, qui s’attaquait à une certaine sous-bourgeoisie complice du capitalisme et de la classes bourgeoise. Je dirais tout de même que là où François Bégaudeau avait signé un pamphlet jouissif mais peut-être un peu vain, Nicolas Framont propose un essai à la fois engagé et sérieux, qui mêle des constats documentés, une réflexion théorique, et des propositions de moyens d’action pour ouvrir des perspectives de lutte.

L’épilogue est à la hauteur du reste du livre : excellent. Après nous avoir parlé de la compagnie Total et de son président, l’auteur nous propose une brève fiction d’anticipation positive, qui s’achève par ces mots avec lesquels j’ai envie de conclure cette chronique :

« L’avenir n’est pas tout rose, mais au moins, il nous appartient. »

Zéro Janvier@zerojanvier@diaspodon.fr

Discuss...

“The Other Wind” est le sixième et dernier tome du cycle Earthsea d'Ursula K. Le Guin, également connu en français sous le nom de cycle de Terremer.

Après Tales from Earthsea qui était un recueil de nouvelles, ce dernier tome retrouve la forme romanesque des quatre premiers. Le récit prend la suite de celui du quatrième tome, Tehanu, complété par les informations disséminées dans les nouvelles du cinquième. On comprend d’ailleurs mieux en lisant ce dernier tome pourquoi ces nouvelles du précédent étaient essentielles pour boucler le récit et en comprendre tous les enjeux.

Globalement, l’intrigue tourne autour de la mort et des interactions entre les humains et les dragons, ces créatures fantastiques qui ont pris une importance grandissante tout au long du cycle. On retrouve avec plaisir les personnages des tomes précédents (Ged, Tenar, Tehanu, le roi Lebannen) ainsi que d’autres personnages que l’on apprend à aimer.

J’ai pris beaucoup de plaisir à lire ce roman, je l’ai d’ailleurs dévoré en moins de deux jours. Je ne sais pas si c’est parce qu’il s’agit de la conclusion du cycle et que les adieux sont souvent émouvants, mais j’ai trouvé ce tome encore plus fort que les précédents.

Ce cycle est un classique de la fantasy et je comprends désormais mieux pourquoi. Derrière des apparences qui peuvent sembler très simples se cache en réalité un texte riche et profond, qui touche profondément à la nature humaine, à nos craintes, à nos angoisses. Ursula K. Le Guin nous a ainsi proposé l’alliage parfait de la poésie, de l’imaginaire et de la psychologie humaine. Je suis ravi d’avoir fait ce voyage par sa plume et ses mots.

Zéro Janvier@zerojanvier@diaspodon.fr

Discuss...

Enter your email to subscribe to updates.