Zéro Janvier

Chroniques d'un terrien en détresse – Le blog personnel de Zéro Janvier

Starhawk est une activiste écoféministe et une figure du néo-paganisme sur lequel elle écrit plusieurs livres. Dans ce livre publié il y a plus de dix ans et traduit seulement en 2018 en français, elle propose un guide pratique pour s'organiser, pour faire des communautés et des organisations non hiérarchiques, basées sur des structures fluides et collectives qui mettent le consensus au centre des prises de décision.

J'ai un drôle de ressenti au moment de terminer ce livre. J'ai d'abord été emballé par l'introduction et le premier chapitre qui posent le cadre, avant d'être un peu troublé par la suite. Il y a des passages très intéressants, mais d'autres auxquels je n'ai pas été sensible. Je n’ai notamment pas été convaincu par les rituels ni par certains outils et grilles d’analyse proposés par l’autrice. J’ai également été perturbé par l’aspect spirituel de certains propos. Par contre, les considérations sur la gestion des conflits et des personnalités difficiles m’ont semblé pertinentes.

Globalement, je sors tout de même un peu déçu de cette lecture, peut-être parce que j’en attendais beaucoup ou que je m’en étais fait une idée différente. Je pense que c’est un guide qui pourrait être très utile à des communautés tentées par des organisations horizontales, et nous en avons grand besoin pour faire face aux défis de ce siècle, mais je ne suis pas certain de pouvoir l’appliquer moi-même dans ma vie quotidienne.

Zéro Janvier@zerojanvier@diaspodon.fr

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J’ai découvert les éditions Oneiroi grâce à leurs excellentes anthologies de nouvelles steampunk que j’avais dévorées il y a quelques mois. Quand j’avais entendu parler du dernier roman publié dans leur catalogue, j’avais été intrigué. Pas de steampunk cette fois-ci, mais de la fantasy dans une ambiance de western : suffisamment original pour attirer mon intérêt et me laisser tenter.

Je ne le regrette pas, car je viens de passer plusieurs jours de lecture plaisante et enivrante. Dès les premiers pages, nous sommes plongés dans un décor et à la fois original et connu. Le mélange de fantasy et de western fonctionne parfaitement : on retrouve des stéréotypes des westerns, mais avec un décalage qui produit son effet. L’univers imaginé par l’auteur tient parfaitement la route et il parvient à le mettre en scène dans un récit haletant qui nous permet de l’explorer avec ses personnages.

Les personnages, parlons-en justement. Ils sont nombreux, certains sont sympathiques, d’autres moins, mais tous sont attachants ou en tout cas plaisants à suivre. Contrairement à certains romans choraux, je n’ai pas eu la tentation de lire très vite certains chapitres consacrés à des personnages moins intéressants pour retrouver ceux qui me plaisent le plus : ici, j’ai pris plaisir à retrouver des personnages et des lignes narratives différents à chaque nouveau chapitre.

Le récit, rythmé et captivant, tourne principalement autour de la guerre menée par l’une des neuf baronnies du continent pour assujettir les huit autres. Le roman permet de montrer les dégâts produits par la guerre, tout évoquant le thème du racisme et de l’esclavage à travers le sort des Tallaïms, des adeptes du chamanisme traités comme des sauvages par les conquérants venus d’outre-mer.

Arnaud Cazelles propose ici un excellent roman qui mêle habilement fantasy et western. Il joue parfaitement sur les deux tableaux, avec un univers crédible auquel il donne vie avec beaucoup de talent. La galerie de personnages qu’il met en scène est passionnante, tout comme les aventures qu’ils vivent à travers sa plume. Le seul bémol, c’est que le récit n’est pas tout à fait bouclé à la fin du dernier chapitre. Si certains événements trouvent leur conclusion, d’autres appellent une suite. J’espère que ce premier volume trouvera son lectorat et sera bientôt suivi d’un deuxième pour retrouver les personnages dans ce décor mémorable.

Zéro Janvier@zerojanvier@diaspodon.fr

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Technologies partout, démocratie nulle part est un livre co-écrit par Yaël Benayoun et Irénée Régnauld, les fondateurs du Mouton numérique, une association qui “met en lumière les enjeux sociaux, politiques et environnementaux du numérique et des nouvelles technologies”, telle qu'elle est présentée en quatrième de couverture. Ce sont ces enjeux qui sont l'objet de ce livre.

Les deux auteurs partent d'un constat : la technologie et le numérique ont envahi nos vies, mais cela n'a donné lieu et ne donne lieu à aucun débat véritablement démocratique pour valider collectivement les choix qui sont faits. Le livre analyse les ressorts de cette numérisation à marche forcée.

Le propos des deux auteurs s'articule autour de 7 chapitres pour autant de thématiques :

  1. L'irréristible idélogie du progrès
  2. L'âge des technoluttes
  3. L'insuffisance réponse éthique
  4. La démocratie à l'épreuve de la smart et de la safe-city
  5. Le progrès technique à marche forcée dans l'entreprise
  6. Reprendre en main notre avenir technologique
  7. Cinq inspirations pour changer le progrès

Le propos du livre est limpide, sourcé, documenté, et illustré par des exemples choquants (quand ils montrent les dérives) ou inspirants (quand il s'agit de présenter des initiatives alternatives).

Malgré le ton résolument positif et la présence des deux derniers chapitres qui tentent de montrer que l'on peut encore changer les choses, y compris avec des exemples concrets, je n'ai pas pu m'empêcher de me sentir assez pessimiste à la fin de ma lecture, tant le mur à franchir me parait haut et épais.

Quoi qu'il en soit, ce livre constitue une excellente synthèse sur le sujet et un appel vibrant à la mobilisation individuelle et collective.

Zéro Janvier@zerojanvier@diaspodon.fr

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Engine City est le troisième et donc dernier tome de la trilogie de science-fiction Engines of Light de l’écrivain écossais Ken MacLeod. J’avais beaucoup aimé les premiers tomes Cosmonaut Keep et Dark Light qui étaient assez différents l’un de l’autre mais passionnants chacun dans leur style. J’ai donc abordé ce dernier tome avec une certaine impatience, mêlée à une petite appréhension car j’avais lu quelques critiques qui énonçaient une déception relative concernant la fin du récit.

Pour ma part, pour ôter dès maintenant tout suspense, je n’ai pas été déçu. J’ai même beaucoup aimé ce dernier tome et son final, qui peut surprendre mais qui à mon sens répond tout à fait aux promesses et aux amorces des deux premiers romans.

Le récit reprend dans la continuité de la conclusion du tome précédent, et nous retrouvons nos personnages préférés qui, chacun à leur façon, se préparent à l’arrivée d’une nouvelle race alien dans la Seconde Sphère et à la probable guerre d’invasion qui s’ensuivra. La narration est rythmée, alterne des scènes d’action bien menées et des réflexions captivantes. C’est un roman qui sait nous faire réfléchir sans en donner l’impression, c’est toujours agréable ainsi.

Ce que j’admire dans le travail réalisé par Ken MacLeod avec cette trilogie, c’est de nous avoir offert trois livres à la fois très différents et tournant autour du même thème : le voyage à la vitesse de la lumière et ses conséquences, que ce soit pour les voyageurs eux-mêmes et pour les planètes qu’ils visitent. Nous avons vu à la fois des humains évoluer et vieillir, des civilisations grandir, se rencontrer, et décliner. Je crois qu’il ne faut pas sous-estimer le tour de force réalisé par l’auteur.

J’ai pris beaucoup de plaisir à lire ce dernier tome et cette trilogie en général. Ce fut un voyage terriblement enrichissant, parfois déroutant mais absolument passionnant du début à la fin. C’est assurément une très grande oeuvre de science-fiction, dans laquelle Ken MacLeod a su parfaitement exploiter un thème, en en présentant plusieurs facettes, sans oublier de le mettre en scène dans un récit captivant. Je crois que j’aurai plaisir à relire cette trilogie dans quelques années !

En attendant, je vais faire un court détour vers d’autres livres et d’autres genres, avant de revenir d’ici peu avec un gros morceau de la science-fiction : le cycle de la Culture, de Iain M. Banks.

Zéro Janvier@zerojanvier@diaspodon.fr

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Dark Light est le deuxième tome de la trilogie de science-fiction Engines of Light de l’écrivain écossais Ken MacLeod. J’avais beaucoup aimé le premier tome Cosmonaut Keep qui était riche en promesses pour la suite de la trilogie. J’ai donc enchainé directement avec le suivant, et je ne vais pas vous faire attendre plus longtemps : je n’ai pas été déçu !

Par rapport au premier roman qui proposait une structure narrative avec deux lignes temporaires, l’une dans le futur proche et l’autre dans un futur et un espace très loin, celui-ci est plus simple : l’action se déroule dans le futur lointain, à des milliers d’années-lumières de notre système solaire, dans la continuité des événements du premier tome. Nous y retrouvons les personnages que nous avions suivi dans Cosmonaut Keep, cette fois réunis au même endroit, au même moment. Cela permet un récit relativement plus simple, maintenant que les bases ont été posées.

Ce récit s’attarde principalement sur les conséquences de l’arrivée de voyageurs interstellaires humains sur la planète Croatan, où des sociétés distinctes vivaient jusque là de façon relativement harmonieuse. Cette arrivée risque de bouleverser des équilibres précaires.

Avec ce roman, Ken MacLeod nous propose d’explorer la rencontre entre des sociétés différentes, avec leur histoire, leur mythologie, leur organisation sociale, leur rapport à la technologie, leur mode de vie. Il y a bien sûr le choc de culture entre les autochtones et les voyageurs venus de l’espace, mais aussi des différentes entre les différentes cultures qui cohabitent déjà sur la planète. Pour l’auteur, dont on connait la fibre politique, c’est l’occasion d’explorer des modèles de société différents.

Il y a notamment toute une réflexion au sein d’une des cultures présentées sur la distinction entre sexe biologique et genre social. Ainsi, nous rencontrons deux personnages qui illustrent cette approche : Stone est né(e) homme mais se reconnait et est socialement reconnu comme une femme car il refuse de se battre ; Gail est né(e) femme mais est socialement reconnu(e) comme homme car elle exerce la profession de mécanicien(ne) considérée comme exclusivement masculine. Bien sûr, cette approche n’est pas exempte de de stéréotypes et de défauts, que l’auteur ne manque d’ailleurs pas de mettre en scène dans le roman.

Par rapport au premier tome qui était principalement centré sur l’aspect technologique de la science-fiction, celui-ci m’a semblé plus politique. Certains personnages parmi les cosmonautes et leurs alliés autochtones illustrent parfaitement la tension entre d’une part le désir d’une démocratie directe avec des assemblées populaires autonomes (sur le modèle de communes en auto-gestion) et d’autre part la volonté d’instaurer un Etat central pseudo-démocratique, dont la principale mission serait de garantir le libre-échange et l’aboutissement serait l’instauration d’un modèle capitaliste étatiste industriel. Ken MacLeod rejoue ainsi, avec plus ou moins de subtilité même si cela ne m’a pas du tout dérangé, bien au contraire, le vieil antagonisme entre communistes et anarchistes, ou plus précisément entre communistes autoritaires et libertaires.

J’ai beaucoup parlé ici des aspects sociaux et politiques du roman, mais cela ne doit pas cacher le récit lui-même, qui tourne autour des inévitables transformations que l’arrivée du vaisseau interstellaire provoque sur la planète Croatan. Entre intrigues politiques, complots commerciaux, révoltes sociales, et tensions raciales, il y a de quoi s’occuper dans ce roman riche mais passionnant, d’autant que la galerie de personnages offre des personnalités originales et mémorables. Une mention spéciale pour Stone, mon personnage coup de coeur de ce roman.

Au moment de terminer ce deuxième tome, j’ai déjà très envie de me plonger dans le suivant, en espérant qu’il clôture en beauté cette trilogie qui a jusque là su me séduire et m’enchanter. On en reparle certainement très vite ici !

Zéro Janvier@zerojanvier@diaspodon.fr

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Cosmonaut Keep est le premier tome de la trilogie de science-fiction Engines of Light de Ken MacLeod, un écrivain écossais que j’avais découvert avec The Fall Revolution. J’avais beaucoup aimé ce cycle en quatre romans dans lesquels il mêlait habilement prospective technologique et politique. J’ai retrouvé avec grand plaisir cet aspect dans Cosmonaut Keep.

La structure narrative du roman, relativement originale, a contribué à l’enthousiasme qui a accompagné ma lecture.

D’une part, dans un futur proche où l’Europe a fusionné avec une URSS ressuscitée, Matt Cairns, un programmeur britannique, se retrouve mêlé à une sombre histoire d’espionnage scientifique au moment où une station orbitale russo-européenne annonce au monde entier un Premier Contact avec une race extraterrestre.

D’autre part, dans un futur lointain et dans un système solaire à des milliers d’années-lumières du nôtre, Gregor Cairns, lointain descendant de Matt Cairns, est étudiant-chercheur en biologie marine sur une planète où cohabitent des humains ayant débarqué quelques siècles plus tôt et des « saurs », des extraterrestres à la morphologie similaire à des dinosaures à taille humaine. Il partage son temps entre le laboratoire avec sa collègue Elizabeth, ses obligations familiales avec son grand-père James qui souhaite l’associer à son Grand Projet, et son idylle avec un marchand spatial en visite sur la planète.

Les deux lignes temporelles suivent d’abord leur cours en parallèle avant, comme souvent dans les romans construits ainsi, de se rejoindre d’une façon ou d’une autre. Dans les deux cas, l’intrigue tourne autour de la découverte ou de la re-découverte du voyage à la vitesse de la lumière. Dans notre futur proche, c’est un horizon qui semble inatteignable avant que le Premier Contact ne rabatte les cartes. Dans le futur lointain, seuls quelques marchands associés à d’étranges extra-terrestres ont accès au voyage interstellaire tandis que les différentes planètes habitées vivent isolées les unes des autres.

J’ai retrouvé dans ce roman des ingrédients qui m’avaient déjà beaucoup plu dans The Fall Revolution, même si le dosage est un peu différent. Là où la politique est très présente, c’est ici la technologie qui joue le premier rôle. Même si l’auteur, qui ne cache pas ses sympathies politiques, mentionne à plusieurs reprises différents courants communistes et notamment le trotskisme, cela reste en arrière-plan de la double intrigue autour du voyage à la vitesse de la lumière. C’est différent, mais tout aussi plaisant que The Fall Revolution.

J’ai en tout cas pris énormément de plaisir à lire ce roman, riche en promesses pour la suite. Je vais directement enchainer avec le deuxième roman de la trilogie : Dark Light. Je vous retrouve bientôt ici pour en reparler !

Zéro Janvier@zerojanvier@diaspodon.fr

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J’avais lu des critiques plutôt élogieuses sur ce premier roman signé Benoit d’Halluin, et je m’étais laissé tenter par la promesse du résumé : Alexis, un jeune français expatrié aux Etats-Unis, est renversé par une voiture sur un pont au nord de New-York et tombe dans le coma ; sa mère Catherine reçoit l’appel de Marc, un ami de son fils pour lui apprend la nouvelle, elle va traverser alors l’Atlantique pour rejoindre son fils, avec cet homme dont elle n’avais jamais entendu parler mais qui semble très bien connaitre son fils.

Le roman propose des courts chapitres qui alternent le récit au présent autour de Catherine et Marc après l’accident d’Alexis et des flash-backs qui racontent l’enfance, l’adolescence puis la vie de jeune adulte d’Alexis d’une part et de Marc d’autre part. Nous suivons ainsi leur rapport très différent à leurs familles respectives, la découverte de leur homosexualité, leurs premiers émois et leurs premiers amours, leurs failles et leur tragédies, puis leur rencontre et le début de leur histoire.

L’intrigue tourne également autour du mystère autour de l’accident d’Alexis, car il apparait dès le premier chapitre qu’Alexis reconnait le conducteur avant d’être percuté par le véhicule. L’auteur multiplie ensuite les fausses pistes pour nous amener à soupçonner successivement tel ou tel personnage. Cela a fini par me sembler un peu artificiel, surtout en constatant que tous les suspects possèdent le même modèle de voiture, celui impliqué dans l’accident. Je dois dire que le suspense autour de l’accident d’Alexis et de l’identité du coupable m’a laissé de marbre, soit parce qu’il était trop artificiel, soit parce que la résolution de ce mystère ne m’intéressait pas plus que cela.

Le reste du récit, autour des histoires respectives d’Alexis et de Marc jusqu’à leur rencontre, puis leur couple, est un peu plus intéressant quoique pas très original, mais surtout desservi par un style d’écriture trop plat à mon goût, et envahi de formulations qui m’ont semblé être des clichés déjà lus et relus. J’ai aussi été gêné par quelques passages où ont sent que l’auteur s’exprime à travers la voix de ses personnages, notamment quand il évoque sa perception du « mode de vie » gay, des rencontres d’un soir, des applications de rencontres, etc. Ce n’est pas inintéressant, ni forcément très éloigné de mes propres réflexions sur le sujet, mais j’ai trouvé que cela tombait un peu comme un cheveu sur le soupe et que cela manquait de naturel dans la façon d’intégrer cela dans le récit.

Globalement, ce roman n’est pas déplaisant à lire, je l’ai lu en deux jours sans avoir à me forcer, mais, pour parler crûment, cela ne vole pas très haut, sur le fond comme sur la forme. Je ne sais jamais si je dois juger un premier roman comme un roman comme les autres ou comme promesse d’autres à venir, pour laisser une chance aux primo-auteurs. Quoi qu’il en soit, qu’on le considère comme un thriller, comme une romance ou comme un récit de couple et de famille, celui-ci est pour moi une petite déception.

Zéro Janvier@zerojanvier@diaspodon.fr

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Bâtir aussi est un ouvrage atypique, un recueil de nouvelles produites par les Ateliers de l'Antémonde, un collectif qui s'auto-définit ainsi :

Les ateliers de l’Antémonde sont constitués de personnes engagées dans des luttes anticapitalistes et féministes. Des ateliers de fabrication d’imaginaires enthousiastes et critiques du complexe techno-industriel. Les auteurEs, passionnéEs par la bidouille, recherchent des outils pour subvertir l’état des choses, développer des perspectives révolutionnaires et anti-autoritaires. Iels expérimentent la science-fiction à plusieurs mains pour s’extirper d’un présent verrouillé en puisant dans leurs pratiques de luttes et de vie collective. Ensemble, iels tentent de tirer les fils du présent afin de tendre une toile de futurs possibles, voire souhaitables.

Ceux qui me connaissent un peu savent que c'est une démarche qui avait de grandes chances de me séduire et que l'enthousiasme serait mon premier sentiment en commençant ce livre.

Les sept nouvelles qui composent ce recueil se déroulent de nos jours, mais dans une version du présent où dix ans plus tôt, une révolution a renversé le modèle capitaliste industriel, sous l'impulsion du Printemps arabe. Après une lutte à mort contre l'Etat et les nationalistes d'extrême-droite, la société s'est réorganisée en communes libres et auto-organisées.

Les textes mettent donc en scène le quotidien d'un modèle de société inspiré des idées anarchistes, collectivistes, de l'anarcho-communisme, ou de l'écologie libertaire de Murray Bookchin, que le préface cite explicitement comme source d'inspiration. Cela a fait écho chez moi à l'une de mes lectures récentes, le très beau Eutopia de Camille Leboulanger.

J'aime quand la fiction permet d'imaginer des alternatives, des futurs possibles et souhaitables. C'est le cas des nouvelles de ce recueil, et cela justifierait déjà sa lecture. Là où ce livre va encore plus loin, c'est autour de la notion d'utopie ambigüe. En effet, les auteurs et les autrices ne cachent pas les difficultés, les doutes, les débats qui agitent les communautés qu'ils et elles mettent en scène. C'est l'occasion de démontrer que ces futurs possibles sont et seront en perpétuel débat, sans masquer le poids des processus de prise de décision collective.

En parlant des débats qui transparaissent dans le livre, j'ai trouvé qu'ils sont parfois mis en scène de façon un peu trop didactique, quand les personnages expliquent leurs arguments plus à destination du lecteur que pour eux-mêmes. C'est une facilité d'écriture peut-être inévitable dans une telle démarche, mais cela ne nuit pas tant que cela au plaisir de lecture.

Je ne peux pas achever cette critique sans parler de la très jolie postface, à la fois éclairante sur le projet littéraire et politique des auteurs et autrices, et inspirant pour prendre le relais, comme ils et elles nous invitent à le faire. A qui le tour ?

Zéro Janvier@zerojanvier@diaspodon.fr

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Sous la lune brisée est le premier roman d'Anne-Claire Doly, mais si je ne l'avais pas su avant de le lire j'aurais pu croire qu'il s'agit de l'oeuvre d'une autrice déjà aguerrie et maintes fois publiée. Elle nous propose ici un roman de science-fiction qui même habilement propos éminemment politique et style très littéraire.

L'action se déroule dans notre futur, plus de deux siècles avec un cataclysme, non explicité dans le texte, qui a rendu invivable une grande partie du globe et a brisé la Lune en deux. Neuf cités-Etats se sont emmurées pour s'isoler des réfugiés qui tentent de s'y mettre à l'abri. En leur sein, la société est divisée en trois cercles : le premier cercle, composé des Gardiens, issus de familles aristocratiques qui gouvernent la cité ; le deuxième cercle, qui forme le Faisceau, l'armée dont le rôle principal est de neutraliser les migrants en dehors des murs ; le troisième cercle, les Laborieux qui n'ont comme privilège que celui d'être à peine mieux traités que les réfugiés clandestins. La sexualité et la natalité sont contrôlées et organisées lors de cérémonies où les partenaires pour quelques nuits consécutives sont tirés au sort, quand le hasard n'est pas influencé par quelques puissants fortunés. La loi qui interdit les relations avec les personnes d'un autre cercle.

Quand le récit commence, la colère gronde dans la cité. Le Faisceau semble sur le point de déclencher un coup d'état contre les Gardiens, tandis que des partisans du Troisième cercle prépare une révolution pour reprendre le pouvoir des mains de ceux qui les oppriment.

Dans ce cadre quasi-dystopique, l'autrice nous propose de suivre la destinée de trois personnages : Aulis, un Laborieux adolescent dont la mère, issue de l'union interdite d'une aristocrate et d'un Laborieux, se prostitue ; Hadrian, un militaire dont l'homosexualité et la conscience l'isolent de ses camarades de combat ; Ariane, aristocrate qui veut continuer à exercer son métier de médecine dans les bas quartiers.

Les ingrédients sont réunis pour un récit puissant et très politique. Le début est toutefois un peu lent, d'autant que le style littéraire et presque poétique d'Anne-Claire Doly peut surprendre voire dérouter le lecteur. Globalement, le rythme reste lent, même si cela s'accélère légèrement la fin. Je dirais que si le cadre proposé m'a tout de suite séduit, j'ai mis un peu de temps à entrer véritablement dans le récit, avant de me laisser emporter progressivement par la qualité de la plume, la puissance du récit et l'humanité des personnages.

C'est une lecture exigeante mais puissante, un grand roman de science-fiction qui parle de révolution, de migration, d'exil, d'eugénisme, d'amour, et d'humanité en général.

Zéro Janvier@zerojanvier@diaspodon.fr

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J'avais découvert Daniel Arsand il y a plusieurs années avec Des amants puis avec le très beau roman Je suis en vie et tu ne m'entends pas. J'avais été séduit par sa plume délicate au service de récits forts et passionnants. Je me suis donc laissé tenter par son dernier roman, d'autant que j'en avais lu une critique très élogieuse ici ou là.

Dans Moi qui ai souri le premier, l'auteur nous raconte trois épisodes de son adolescence, trois garçons qu'il a aimés ou désirés, trois événements qui ont accompagné l'éveil de sa sexualité et ont ensuite façonné son rapport aux hommes.

Je lisais dans une autre critique que ce roman est en quelque sorte le “marking-of” de la vie et de l'oeuvre littéraire de Daniel Arsand et je trouve très juste cette image. Cela m'a d'ailleurs fait penser au roman “Arrête avec tes mensonges” de Philippe Besson, qui raconte également un épisode de son adolescence et apparaissait comme une explication de ses oeuvres précédentes, ou à venir à l'époque du récit.

Vous l'aurez compris, le fond m'a beaucoup plu. Sur la forme, Daniel Arsand nous offre un roman très court, que j'ai lu d'une seule traite, son format et son rythme invitant à lire sans s'arrêter. La plume est toujours aussi délicate et efficace. Un beau roman.

Zéro Janvier@zerojanvier@diaspodon.fr

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