La trahison des élites allemandes (Christian Baechler)
Après avoir lu et apprécié L'Allemagne de Weimar : 1919-1933 de Christian Baechler grâce au dernier livre de Johann Chapoutot, j'ai poursuivi ma découverte de ses recherches sur l'histoire allemande avec ce pavé : La trahison des élites allemandes (1770-1945), publié en 2021 chez Passés Composés.
Comment et pourquoi une élite cultivée a-t-elle abdiqué face au nazisme ? C’est la réponse à laquelle un des plus grands spécialistes de l’Allemagne répond dans ce livre.
Christian Baechler trace l’itinéraire ignoré d’une bourgeoisie culturelle méconnue de la fin du XVIIIe siècle à la Seconde Guerre mondiale. Le parlement de Francfort de 1848-1849 marque l’apogée de son influence politique, qui décline dans l’Allemagne bismarckienne. Confrontée au développement de la société industrielle, elle subit une « crise existentielle » qu’elle surmonte par le nationalisme. Accentué par la défaite de 1918, par une flambée d’antisémitisme et par la crise des années 1930, ce nationalisme devient raciste. Ce sont des conditions favorables à une adhésion au national-socialisme pour certains ou au retrait dans l’abstention ou l’indifférence pour la plupart. Toutes les conditions étaient réunies pour qu’elle se compromette dans l’entreprise hitlérienne.
Voici la fresque totale, fascinante et apocalyptique de l’effondrement d’une des élites les plus prometteuses de l’ère moderne.
Christian Baechler tente de répondre, en tant qu'historien, à cette question : “Comment et pourquoi une élite cultivée a-t-elle abdiqué face au nazisme ?”. Pour cela, il relate l'évolution de la bourgeoisie culturelle allemande de la fin du XVIIIe siècle jusqu'en 1945, de l'humanisme des Lumières jusqu'à la complicité voire l'enthousiasme coupable face au nazisme.
L'ouvrage est organisé en 4 grandes parties chronologiques, chacune des parties étant ensuite de chapitres chronologiques ou thématiques. À défaut d'un résumé détaillé dont je serais bien incapable, en voici un aperçu à travers une version synthétique de la table des matières :
La bourgeoisie culturelle : formation et idéal culturel d'un nouveau groupe social (1770-1820/1830) Chapitre 1 – La formation d'un nouveau groupe social : la « bourgeoisie culturelle » (1770-1830) Chapitre 2 – L'idéal de la Bildung néo-humaniste Chapitre 3 – Le nouveau concept de Bildung et la société : les réformes de l'enseignement en Prusse (1807-1815)
La bourgeoisie culturelle et le mouvement libéral et national (1815-1871) Chapitre 4 – Libéralisme et réaction : du congrès de Vienne à la révolution de 1848-1849 Chapitre 5 – La bourgeoisie culturelle et l'unité allemande (1850-1871)
La bourgeoisie culturelle : crise d'identité et pessimisme culturel (1870-1918) Chapitre 6 – Expansion numérique et diversification de la bourgeoisie culturelle Chapitre 7 – La crise du libéralisme et la marginalisation politique de la bourgeoisie culturelle Chapitre 8 – Critique de la civilisation et « pessimisme culturel » Chapitre 9 – L'aspiration des élites intellectuelles à la direction morale de la nation (1914-1918)
La crise de la bourgeoisie culturelle (1919-1945) Chapitre 10 – L'évolution du groupe social de la bourgeoisie culturelle Chapitre 11 – La bourgeoisie culturelle face à la démocratie de Weimar (1919-1933) Chapitre 12 – Une hégémonie culturelle menacée (1919-1933) Chapitre 13 – La bourgeoisie culturelle et le nazisme (1933-1945)
Le texte très dense mais absolument passionnant du début à la fin. Le sujet peut sembler très spécialisé, mais à travers l'évolution de la bourgeoisie culturelle allemande, Christian Baechler nous propose une histoire du libéralisme, des espoirs qu'il a suscités, des intérêts qu'il a servis, des échecs qu'il a provoqués, et des compromissions dans lesquels il s'est vautré. L'auteur est probablement un peu moins sévère que moi, mais c'est ainsi que j'ai interprété le récit qu'il a fait de cette histoire des élites allemandes entre la fin du XVIIIe siècle et le milieu du XXe.
Zéro Janvier – @zerojanvier@diaspodon.fr