Zéro Janvier

Chroniques d'un terrien en détresse – Le blog personnel de Zéro Janvier

Memories of Ice est le troisième roman du cycle de fantasy Malazan Book of the Fallen de Steven Erikson. Après un deuxième tome qui nous amenait sur un autre continent, le récit reprend ici la suite du premier roman, sur le continent de Genabackis :

The ravaged continent of Genabackis has given birth to a terrifying new the Pannion Domin.

Like a fanatical tide of corrupted blood, it seethes across the land, devouring all who fail to heed the Word of its elusive prophet, the Pannion Seer. In its path stands an uneasy Dujek Onearm's Host and the Bridgeburners ­ each now outlawed by the Empress ­ alongside their enemies of old including the grim forces of Warlord Caladan Brood, Anomander Rake, Son of Darkness, and his Tiste Andii, and the Rhivi people of the Plains.

But more ancient clans too are gathering. As if in answer to some primal summons, the massed ranks of the undead T'lan Imass have risen. For it would seem something altogether darker and more malign threatens the very substance of this world. The Warrens are poisoned and rumours abound of the Crippled God, now unchained and intent on a terrible revenge...

Il y a encore beaucoup de très bon dans ce troisième roman du cycle : des personnages forts et attachants, des intrigues complexes, un récit épique, le tout dans un univers très riche que l’on prend plaisir à découvrir progressivement.

Si je devais émettre un bémol, ce serait pour regretter un rythme un peu faible au milieu du roman, comme un ventre mou qui aurait gagné à être réduit. On suit parfois certains arcs narratifs en se demandant à quoi ils servent, avant de comprendre seulement à la fin à quoi ils servent dans l’ensemble du récit. Cela peut sembler malin à la fin, mais cela peut gêner un peu la lecture. C’est souvent le risque avec les gros pavés comme celui-ci, et c’est quelque chose qui pourrait me lasser si cela se reproduit dans les prochains tomes.

Cet inconvénient est tout de même largement effacé par le final, à la fois épique et émouvant. Ce qui est impressionnant, c’est de se dire qu’on a déjà assisté à des événements impressionnants et des révélations importantes, mais que nous n’en sommes qu’au premier tiers du cycle. Je me demande où Steven Erikson va nous amener, en espérant que le chemin conserve les éléments les plus réussis et sache éviter les quelques baisses de rythme aperçues dans ce tome.

Zéro Janvier@zerojanvier@diaspodon.fr

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Deadhouse Gates est le deuxième roman du cycle Malazan Book of the Fallen de Steven Erikson. S’il est peut-être un petit cran en-deçà du premier, il n’en reste pas moins un excellent roman de fantasy épique, servi par des personnages mémorables dans un univers d'une richesse impressionnante.

Weakened by events in Darujhistan, the Malazan Empire teeters on the brink of anarchy. In the vast dominion of Seven Cities, in the Holy Desert Raraku, the seer Sha'ik gathers an army around her in preparation for the long-prophesied uprising named the Whirlwind. Unprecedented in its size and savagery, it will embroil in one of the bloodiest conflicts it has ever known: a maelstrom of fanaticism and bloodlust that will shape destinies and give birth to legends...

In the Otataral mines, Felisin, youngest daughter of the disgraced House of Paran, dreams of revenge against the sister who sentenced her to a life of slavery. Escape leads her to raraku, where her soul will be reborn and her future made clear.

The now-outlawed Bridgeburners, Fiddler and the assassin Kalam, have vowed to return the once god-possessed Apsalar to her homeland, and to confront and kill the Empress Laseen, but events will overtake them too.

Meanwhile, Coltaine, the charismatic commander of the Malaz 7th Army, will lead his battered, war-weary troops in a last, valient running battle to save the lives of thirty thousand refugees and, in so doing, secure an illustrious place in the Empire's chequered history.

And into this blighted land come two ancient wanderers, Mappo and his half-Jaghut companion Icarium, bearers of a devastating secret that threatens to break free of its chains...

Le premier tome m'avait déjà habitué à la multitude de personnages mis en scène par Steven Erikson, mais celui-ci va encore plus loin. Pas forcément par le nombre de personnages, mais par le fait qu'ils sont disséminés d'un bout d'un continent à l'autre, sans qu'on perçoive tout d'abord les liens entre les différentes intrigues. La convergence finit par se faire, mais elle est moins directe et moins évidente que dans le roman précédent, où toutes les intrigues tournaient assez clairement autour des mêmes enjeux. Au milieu de ce long pavé, j'ai parfois été perdu, mais les derniers chapitres m'ont laissé une très forte impression.

J’ai hâte d’attaquer le troisième tome, Memories of Ice, d’autant qu’il parait que c’est l’un des meilleurs du cycle.

Zéro Janvier@zerojanvier@diaspodon.fr

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Gardens of the Moon est le premier roman du cycle de fantasy Malazan Book of the Fallen de Steven Erickson, publié pour la première fois en 1999.

Bled dry by interminable warfare, infighting and bloody confrontations with Lord Anomander Rake and his Tiste Andii, the vast, sprawling Malazan empire simmers with discontent.

Even its imperial legions yearn for some respite. For Sergeant Whiskeyjack and his Bridgeburners and for Tattersail, sole surviving sorceress of the Second Legion, the aftermath of the siege of Pale should have been a time to mourn the dead.

But Darujhistan, last of the Free Cities of Genabackis, still holds out – and Empress Lasseen's ambition knows no bounds.

However, it seems the empire is not alone in this great game. Sinister forces gather as the gods themselves prepare to play their hand...

On m'avait prévenu que le début peut être ardu, et l'auteur lui-même reconnait dans sa préface que le premier tiers du premier roman est un juge de paix : soit le lecteur continue, soit il abandonne. Dans mon cas, j’ai continué avec plaisir !

Le récapitulatif des personnages et le glossaire ne sont pas de trop, mais j'ai trouvé cela passionnant dès les premières pages. L'univers est complexe, et on devine qu'on n'en perçoit qu'une partie. Le récit est dense et met en scène une multitude de personnages tous intéressants, chose rare me concernant dans un roman polyphonique.

Je ne pourrais pas résumer ici tout ce qui se déroule dans ce gros roman de plus de 700 pages, mais l’auteur nous propose un récit épique et captivant autour d’une guerre de conquête d’un empire qui tente de s’étendre sur un nouveau continent. Evidemment, tout le monde n’est pas prêt à se soumettre à l’armée colonisatrice.

Il m’a fallu environ une semaine pour avaler ce pavé, mais j’ai adoré du début à la fin et je suis déjà prêt à repartir à la découverte de l’univers de Steven Erikson avec le deuxième tome de cette saga.

Zéro Janvier@zerojanvier@diaspodon.fr

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La bataille de la Sécu est un essai de Nicolas Da Silva, publié en 2022 par les éditions La fabrique. L'auteur, maître de conférences en sciences économiques, se fait ici historien pour retracer l'évolution du système de santé en France, de la Révolution jusqu’à aujourd’hui (le dernier chapitre revient sur la pandémie de Covid-19).

Cette histoire voit s’affronter deux modèles de protection sociale : l'Etat social d'une part, et la Sociale d'autre part. La quatrième de couverture en donne un parfait résumé :

L’invention du régime général de sécurité sociale en 1946 n’a pas été le fait d’un consensus national inédit comme on l’entend souvent, mais le produit d’une histoire longue et conflictuelle dont La bataille de la Sécu offre un panorama.

Si la Révolution française pose comme jamais auparavant la question de l’intervention de l’État dans le domaine de la santé, elle ne conduit pas à un bouleversement des institutions du soin pourtant rendu nécessaire par le développement du capitalisme. Les premières réponses viennent au XIXe siècle des travailleurs qui organisent dans les mutuelles la solidarité. L’État n’intervient que modérément dans un souci de maintien de l’ordre social jusqu’à ce qu’il entraîne la population dans l’enfer des guerres mondiales, s’obligeant à investir massivement dans les soins.

Deux logiques antagoniques s’affrontent en 1946 qui éclairent les évolutions du système de santé en France jusqu’à aujourd’hui : à la « Sociale », fondée sur l’auto-gouvernement du système de santé par les intéressés eux-mêmes, s’oppose « l’État social », né de la « guerre totale », qui fait de la protection sociale un instrument de contrôle de la population. L’étatisation de la sécurité sociale qui est à l’agenda des classes dirigeantes dès 1946 en a subverti le principe de solidarité, ouvrant la voie à un capitalisme sanitaire dont on ne cesse de constater les dégâts. La pandémie a mis en lumière l’absurdité de ces évolutions et l’impérieuse nécessité de reprendre le pouvoir sur la Sécu.

Après une préface de Bernard Friot, toujours brillant et convaincant mais qui a tendance ici à résumer le propos de l’auteur plutôt qu’à le contextualiser, l’auteur attaque le coeur de son récit et de sa démonstration avec une introduction suivie de 8 chapitres, le tout en un peu moins de 300 pages, notes comprises. Je ne vais pas les résumer ici, je vais me contenter de vous en citer les titres, suffisamment explicites pour suivre à la fois le récit chronologique et le raisonnement porté par l’ouvrage :

  1. Du féodalisme au capitalisme : le renouvellement des institutions du soin
  2. La mutualité : de la subversion à l’intégration au capitalisme
  3. La guerre totale comme fondement de l’État social
  4. La résistance à l’État et au capital comme fondement de la Sociale
  5. La réappropriation du régime général par l’État social
  6. Quand l’État social impose sa conception de la sécurité sociale
  7. Le développement du capital dans le système de soin
  8. La pandémie de Covid-19 comme accélérateur du capitalisme sanitaire

L’exposé de Nicolas Da Silva est brillant, passionnant, et convaincant. La seconde partie, après la fondation de la Sécurité sociale en 1946, est parfois déprimante ou peut mettre en colère. On a l’impression d’être face à un rouleau compresseur qui casse tout ce qu’on a construit de ‘beau’ et de ‘bien’ et contre lequel nous semblons impuissants. J’en ai retenu deux citations, parmi tant d’autres.

La première citation résume l’attitude des classes dominantes :

Il faut réduire l’influence ouvrière, qui a la désagréable caractéristique d’être souvent communiste. Pour reprendre la formule de Gramsci, il faut apprivoiser le gorille – c’est-à-dire mater la rébellion des classes populaires pour qu’elles acceptent la marche en avant du capitalisme et renoncent à changer la vie.

La seconde définit le concept de capitalisme politique, dont l’auteur démontre qu’il s’applique parfaitement au système de santé en France au cours de la seconde partie du XXe siècle, quand l’Etat reprend progressivement la main sur la Sécurité sociale :

Le capitalisme politique est un phénomène qui se distingue à la fois du capitalisme concurrentiel et de l'administration étatique. Selon cette approche, l'État n'est pas le reflet des luttes politiques de divers groupes aux intérêts opposés, il participe d'une synthèse entre élites politiques et économiques. Les élites politiques utilisent leur pouvoir pour maintenir la prédominance des élites économiques et inversement.

La fusion des élites politiques et économiques permet d'assurer la stabilité, la prédictibilité et la sécurité des activités économiques. La stabilité provient de la suppression des luttes concurrentielles et des fluctuations économiques. La prédictibilité renvoie à la capacité de planifier l'action économique grâce à la certitude de la stabilité du cadre politique. La sécurité représente la certitude de ne pas souffrir d'attaques provenant de processus politiques démocratiques (comme par exemple la remise en cause de monopoles ou la volonté de socialiser les moyens de production).

Le capitalisme politique relève bien plus de la collusion que de la capture ou de la corruption. Le fait important n'est pas que les élites économiques achètent le soutien des élites politiques en les finançant mais que, fondamentalement, elles sont d'accord sur l'impératif du statu-quo. Il s'agit avant tout de se prémunir d'outsiders économiques et politiques qui pourraient souhaiter modifier les règles du jeu et, en conséquence, modifier l'équilibre de la société. 

Enfin, je ne peux pas m’empêcher de vous laisser avec quelques mots de la conclusion, à la fois puissants et mobilisateurs :

Qu'est-ce que la bataille de la Sécu ? Deux choses, principalement.

D'une part, la bataille de la Sécu est aujourd'hui une bataille pour la reconnaissance de l'histoire. Il faut se battre pour rappeler qu'il existe deux formes historiques de protection sociale publique : la Sociale et l'État social. La Sociale est une protection sociale portée par les individus eux-mêmes, l'État social est une protection sociale portée par l'État. Cette distinction n'est pas cosmétique. Le pouvoir sur la protection sociale change tout du point de vue de la politique de santé. Lorsque les intéressés prennent le contrôle, ils peuvent détruire le paternalisme social et construire un monde en dehors de la domination capitaliste. Aussi, l'histoire contradictoire de la protection sociale publique s'inscrit dans l'opposition entre gouvernement représentatif et démocratie.

D'une part, la bataille de la Sécu est tout sauf une métaphore. En France, la protection sociale publique est née dans le conflit. Tandis que les révolutions et la résistance à l'État donnent naissance à la Sociale, la guerre totale enfance l'État social. Les grands moments de la protection sociale publique sont intimement liés au conflit. Celui-ci produit de nouvelles institutions beaucoup plus que le débat parlementaire ou que l'empathie suscitée par l'évidente pauvreté dans laquelle vivent des millions de gens.

(…)

Un livre à dimension historique n'a pas vocation à dire l'avenir. Il peut seulement analyser le passé pour essayer d'en donner des clés de compréhension. Les pages qui précèdent invitent à relancer la bataille de la Sécu en reprenant le combat pour une sécurité sociale auto-organisée contre le capital et contre l'État. Le moment est venu d'embrasser à nouveau l'idéal de la Sociale.

Zéro Janvier@zerojanvier@diaspodon.fr

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Ne me sentant pas capable, ou suffisamment motivé, pour lire Le Capital de Karl Marx, et ayant découvert récemment l'existence de cet Abrégé du Capital de Karl Marx du militant communiste libertaire italien Carlo Cafiero, je me suis décidé à lire ce “résumé populaire” publié pour la première en italien en 1878 et dont on doit la traduction en français en 1910 à un autre militant anarchiste, le franco-suisse James Guillaume.

Destiné à un large public, écrit dans un style débarrassé de l'appareil scientifique qui rend parfois ardue l'oeuvre originale, l'Abrégé du Capital fut considéré par Marx à l'époque comme «un très bon résumé populaire de sa théorie de la plus-value». Cet opuscule, élaboré en prison, nous renvoie aussi à la vie tourmentée de son rédacteur, Carlo Cafiero, militant anarchiste.

En moins de 80 pages, Carlo Cafiero propose un résumé accessible du volume I du Capital (le seul achevé par Karl Marx de son vivant), centré sur les notions de travail, de salaire, de plus-value, et d'accumulation de capital. Dans sa préface, l'auteur indique vouloir vulgariser l'oeuvre de Karl Marx, difficilement accessible à ceux qui en auraient pourtant le plus l'utilité. Je dois dire que le résultat est à la hauteur : le propos est clair, synthétique et compréhensible au novice que je suis en économie.

Je pourrais conseiller cet ouvrage, pourtant ancien, à ceux qui comme moi s'intéressent aux travaux théoriques de Karl Marx sans oser s'y frotter de près, de peur d'y être perdu.

Zéro Janvier@zerojanvier@diaspodon.fr

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Le Combat Adama est un livre écrit à quatre mains par Assa Traoré et Geoffroy de Lagasnerie, et publié en 2019 chez Stock.

« Le Combat Adama, ce n’est pas seulement le combat de la famille Traoré. Mon frère est mort sous le poids de trois gendarmes et d’un système. La France a un problème avec la police et la gendarmerie : ça fait partie du Combat Adama. La jeunesse fait partie du Combat Adama. L’école fait partie du Combat Adama. Le racisme fait partie du Combat Adama. La démocratie et la justice font partie du Combat Adama. » – Assa Traoré

Le 19 juillet 2016, Adama Traoré est mort dans la cour de la gendarmerie de Persan dans le Val-d’Oise. C’était le jour de son anniversaire. Il avait 24 ans. Depuis, un combat se développe et s’amplifie qui, à partir de la question des violences policières dans les quartiers populaires, interroge en profondeur notre monde et la politique : le Combat Adama.

Quand j’ai commencé ce livre, après en avoir lu quelques pages, j’ai écrit que je n’en sortirais pas indemne. J’avais raison.

Pourtant, le projet était périlleux. Sur la forme, cela aurait pu être casse-gueule, avec une femme noire faisant un récit vu du terrain et un homme blanc théorisant en “prenant de la hauteur”. Heureusement, le livre évite ce travers. Certes, Assa Traoré s'appuie sur le terrain, sur le quotidien des quartiers populaires, mais son propos est contextualisé et nourri par une vraie réflexion. Le dialogue écrit avec Geoffroy de Lagasnerie fonctionne parfaitement.

Je ne connaissais du quotidien des jeunes garçons dans les quartiers populaires que ce que j’avais pu en lire dans certains médias alternatifs ou indépendants. C’était un début, mais ce livre m’a ouvert les yeux sur une réalité que je soupçonnais sans la voir vraiment. C’est en ce sens que je peux dire que je ne sors pas indemne de cette lecture. Je ne peux plus être aveugle ou faire semblant de l’être. Je sais ce qu’il se passe, je sais l’oppression sociale et policière vécue dans ces quartiers, je ne peux pas faire comme si je n’étais pas au courant.

Quand on ajoute à cela les réflexions croisées d’Issa Traoré et de Geoffroy de Lagasnerie sur le rôle de la police, de la justice, et de l’Etat dans notre société, cela me donne à la fois une envie folle de me mobiliser et un désespoir profond face à un système contre lequel nous semblons impuissants. C’est finalement un bon résumé de mon état d’esprit en ces temps politiquement difficiles.

Zéro Janvier@zerojanvier@diaspodon.fr

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Je viens de terminer la lecture de mon quatrième livre de Geoffroy de Lagasnerie en une semaine, et si je les enchaine aussi vite, c’est probablement pour un mélange de deux raisons : d’une part ils sont relativement courts (entre 100 et 200 pages, et plutôt dans le bas de cette fourchette pour trois d’entre eux), et ils sont tellement passionnants que je les dévore avec une certaine avidité. Celui-ci n’a pas échappé à ce phénomène.

Penser dans un monde mauvais est un essai publié aux Presses Universitaires de France en 2017, consacré au rôle du « savant », de « l’intellectuel » dans la société.

Parce qu’écrire c’est s’engager, tout auteur doit nécessairement se demander comment, par sa pratique, ne pas participer à la reproduction d’un monde traversé par des systèmes de domination, d’exploitation et de violence.

En examinant ce que signifie de vivre une bonne vie intellectuelle dans un monde mauvais, Geoffroy de Lagasnerie élabore un ensemble d’analyses radicales sur l’autonomie de la culture, sur la valeur du savoir et de la vérité, sur la possibilité de concevoir une pratique de connaissance qui soit en même temps oppositionnelle, ou encore sur les rapports de l’intellectuel aux luttes.

Lorsqu’il suspend l’adhésion spontanée à ce qu’il est, tout auteur se pose nécessairement un jour ou l’autre ces questions troublantes : mais au fait… à quoi sert ce que je fais ? Quels sens ont l’art, la culture et le savoir – et à quelles conditions ont-ils du sens ?

L’auteur déroule sa pensée dans cinq chapitres bien construits. Le propos est clair, convaincant, quoi que parfois un peu répétitif. Je sais bien qu’en pédagogie on dit parfois qu’il faut répéter trois fois une idée pour espérer qu’elle soit assimilée, mais je dois que la cinquième fois où j’ai lu, sous des formes certes différentes, que ceux qui ne luttent pas ouvertement contre le monde tel qu’il est confortent et soutiennent de fait le statu-quo, j’avais envie de dire que cette fois, c’était bon (d’autant que j’étais déjà convaincu de cette idée avant la lecture de ce livre).

Hormis ce tout petit bémol, j’ai trouvé cet essai passionnant et inspiré. Au point, à nouveau, de me demander si je ne vais pas poursuivre encore ma découverte des oeuvres de Geoffroy de Lagasnerie dans les jours qui viennent.

Zéro Janvier@zerojanvier@diaspodon.fr

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Après Sortir de notre impuissance politique puis 3. Une aspiration au dehors, j'enchaîne avec la lecture d'un troisième livre de Geoffroy de Lagasnerie. La conscience politique a été publié en 2019 chez Fayard et se présente comme un essai de philosophie politique :

La politique est peut-être le domaine de notre existence que nous pensons le plus faussement : nous ne cessons d’utiliser des catégories totalisantes (peuple, volonté générale, souveraineté populaire), des récits mystificateurs (le contrat social, la démocratie délibérative) ou encore des notions abstraites (le législateur, le corps politique, le citoyen) dont nous reconnaissons la plupart du temps le caractère fictif, tout en affirmant la nécessité d’y recourir.

Mais pour quelles raisons faudrait-il adosser la pensée politique à des fictions ? À quoi voulons-nous échapper de cette manière ? Et surtout, que se passe-t-il sitôt que nous rompons avec ces modes de pensée et regardons la réalité telle qu’elle est ?

Geoffroy de Lagasnerie propose d’élaborer une conception réaliste de l’État, de la Loi et de notre expérience comme sujets. Il pose les principes d’une théorie qu’il appelle « réductionniste », qui conduit à faire vaciller les oppositions qui structurent toute l’histoire de la philosophie politique entre démocratie et colonie, force légitime et violence illégitime, État de droit et exception ou arbitraire, crime politique et délinquance ordinaire, etc.

Un ouvrage qui renouvelle profondément les cadres de la théorie politique.

Avec mes lectures de Geoffroy de Lagasnerie, je me sens un peu comme un héros de jeu vidéo passant d’un niveau à un autre, chaque livre étant un peu plus difficile d’accès que le précédent. Celui-ci est probablement plus théorique, plus conceptuel que les deux premiers livres de cet auteur que j'ai lus cette semaine, il faut parfois s’accrocher, mais j’ai trouvé cela passionnant du début à la fin.

J’aurais probablement du mal à résumer à chaud toutes les idées développées par l’auteur dans l’ouvrage, mais globalement il nous montre comment le discours politique s’appuie sur des fictions, des abstractions, des mythes, et des signifiants vides (« démocratie », « volonté populaire », « légitimité »), pour masquer les rapports de domination sociale. Ce résumé reste très succinct et est loin de couvrir tout le propos de l’auteur. Je ne peux que vous encourager à le lire si la quatrième de couverture et mes quelques mots vous donnent envie d’en savoir plus.

En fait, je pourrais parler de révélation en lisant ce livre. J’ai l'impression d'avoir ouvert les yeux sur des idées qui me semblent désormais évidentes, que j'avais peut-être en tête inconsciemment, mais que Geoffroy de Lagasnerie exprime parfaitement.

Avant de commencer ce livre, je m’étais dit que ce serait le dernier de lui que je lirais pour un petit moment, histoire de laisser la place à d’autres autres et d’autres genres, mais je dois dire que je suis assez tenté de replonger dans sa bibliographie pour découvrir ses réflexions sur d’autres sujets, tant j’aime sa façon de réfléchir et d’aborder les thématiques auxquelles il s’attaque.

Zéro Janvier@zerojanvier@diaspodon.fr

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Après le percutant et pertinent Sortir de notre impuissance politique, j'ai eu envie de poursuivre ma découverte des oeuvres de Geoffroy de Lagasnerie avec cet essai sociologique, philosophique et politique sur l'amitié, dont je l'avais entendu parler récemment dans un entretien sur Blast.

Avec Édouard Louis et Didier Eribon, nous vivons une relation qui dure depuis plus de dix ans maintenant. Dès les premiers mois de cette amitié, quelque chose a basculé dans nos vies, une rupture profonde s’est dessinée dans nos existences : nous nous sommes mis à voyager ensemble, à dîner à 3 presque systématiquement, à créer, à réfléchir et à intervenir conjointement dans l’espace public, à fêter ensemble nos anniversaires et les moments traditionnellement associés à la famille, comme Noël, à partager l’intégralité de notre vécu.

Plus qu’une amitié, cette relation est devenue pour nous un mode de vie, un cadre d’émotions et d’expériences partagées, avec ses rites, ses lieux, ses temporalités, ses connexions aux autres, au champ culturel – et même au monde social en général. Ce livre voudrait prendre cette relation comme le point de départ d’une réflexion sur les modes de vie, la force de l’amitié notamment dans son opposition au familialisme, et ce que l’on pourrait appeler la politique de l’existence.

À l’heure où les existences et les aspirations semblent terriblement normalisées, il pourrait être lu comme une sorte de manuel de vie anti-institutionnelle, qui chercherait à donner un sens concret à l’aspiration utopique à une vie autre.

Geoffroy de Lagasnerie part d'une expérience personnelle, son amitié à trois avec Didier Eribon et Edouard Louis, pour réfléchir sur la place des relations amicales dans la société. Il mêle habilement l'intime et la réflexion, et cela donne un livre étonnant et passionnant. Ni voyeur, ni aride, le texte est accessible même si on n'est ni sociologue ni philosophe, tout en amenant à réfléchir et à s'interroger sur nos propres perceptions et sur la place que nous accordons à l'amitié dans notre vie.

Comme le sous-titre sur la couverture l'indique, ce livre est aussi un très bel éloge de l'amitié. A travers l'exemple proposé par le trio qu'il compose avec Didier Eribon et Edouard Louis, Geoffroy de Lagasnerie nous propose d'imaginer l'amitié comme un socle pour réinventer les relations sociales en général. Et si c'était ça, la radicalité ?

Zéro Janvier@zerojanvier@diaspodon.fr

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Je connaissais Geoffroy de Lagasnerie pour l'avoir déjà vu ou lu dans certains médias, mais je n'ai pas encore lu un de ses ouvrages. Je le connaissais également comme ami de Didier Eribon et d'Edouard Louis, et c'est d'ailleurs cette amitié qui sert de point de départ à son dernier livre publié 3. Une aspiration au dehors dont je l'ai entendu parler dans un entretien récent sur Blast et qui m'a donné envie de découvrir enfin ses textes. Mais avant de lire son dernier ouvrage, j'ai eu envie de plonger dans celui-ci, Sortir de notre impuissance politique, publié en 2020 chez Fayard.

Parce que, depuis plusieurs décennies maintenant, la gauche ne cesse de stagner, de régresser, de perdre les combats qu'elle engage, il est nécessaire d'interroger nos stratégies, nos modes de pensée et nos manières de lutter. A quelles conditions les forces progressistes peuvent-elles redevenir puissantes politiquement ?

Il s'agit d'un court essai sur 92 pages consacré à nos modes d'action militants et politiques. La forme peut d'abord surprendre : l'auteur présente son texte comme une sorte de conférence écrite ; concrètement, l'ouvrage se présente sous la forme de 74 points numérotés, chaque point étant composés d'un ou plusieurs paragraphes autour de la même idée. En avançant dans la lecture, on se rend pourtant compte que les points successifs regroupent des thématiques similaires et que le livre aurait pu être découpé en 4 ou 5 chapitres plus classiques.

Hormis ce bémol pas très grave sur la forme, j'ai été séduit par le propos. Je ne dirais pas que j'adhère totalement à toutes les idées développées ici par Geoffroy de Lagasnerie, mais il nourrit en tout cas une réelle réflexion que je vais probablement poursuivre après cette lecture. Je pourrais recommander la lecture de ce livre à tout militant qui s'interroge sur ses modes d'action et leur efficacité, pas forcément pour prendre tout au pied de la lettre, mais pour réfléchir et ouvrir des pistes.

Zéro Janvier@zerojanvier@diaspodon.fr

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