Zéro Janvier

Chroniques d'un terrien en détresse – Le blog personnel de Zéro Janvier

Chien du Heaume et Mordre le Bouclier forment un diptyque de fantasy écrit par Justine Niogret et publié aux Editions Mnémos en 2009 et 2011. J’en avais entendu beaucoup de bien mais j’ai mis beaucoup de temps avant de me lancer enfin de la lecture, pendant mes vacances estivales.

1. Chien du Heaume

On l’appelle Chien du Heaume parce qu’elle n’a plus ni nom ni passé, juste une hache ornée de serpents à qui elle a confié sa vie. La quête de ses origines la mène sur les terres brumeuses du chevalier Sanglier, qui règne sans partage sur le castel de Broe.

Elle y rencontre Regehir, le forgeron à la gueule barrée d’une croix, Iynge, le jeune guerrier à la voix douce, mais aussi des ennemis à la langue fourbe ou à l’épée traîtresse. Comme la Salamandre, cauchemar des hommes de guerre...

On l’appelle Chien du Heaume parce qu’à chaque bataille, c’est elle qu’on siffle. Dans l’univers âpre et sans merci du haut Moyen Âge, loin de l’image idéalisée que l’on se fait de ces temps cruels, une femme se bat pour retrouver ce qu’elle a de plus cher, son passé et son identité.

J’avais entendu beaucoup de bien de Justine Niogret et je n’ai pas été déçu. Elle propose ici un excelllent roman de fantasy que je qualifierais de fantasy historique. Le surnaturel est très discret, voire absent. Le ton et le vocabulaire médiéval donnent une impression de réalisme qui fonctionne parfaitement. Le récit n’est pas flamboyant mais j’ai beaucoup aimé suivre les aventures de cette protagoniste atypique qui cherche son nom et son histoire, ainsi que les personnages secondaires qu’elle rencontre sur son chemin. J’ai très envie de lire la suite !

2. Mordre le Bouclier

Castel de Broe, six mois ont passé depuis la mort de Noalle et Chien du heaume, anéantie par la perte de ses doigts, s’abîme dans la contemplation de sa griffe de fer, cadeau de Regehir le forgeron.

Bréhyr entend lui redonner vie et l’entraîne sur les routes à la recherche du dernier homme qu’elle doit tuer : Herôon. Parti en Terre sainte, celui-ci reviendra par le Tor, une tour mythique où le monde des vivants s’ouvre à celui des morts.

Les deux guerrières remontent alors le sillage de sang, de larmes et de pourriture des croisades, arpentant côte à côte la voie de la folie et de la vengeance.

Dans ce calvaire, Chien rencontrera Saint Roses, chevalier à la beauté d’icône, au savoir de maestre et dont la foi s’est érodée au pied des hautes murailles de Jérusalem. Une faible lueur qui annonce peut-être un espoir de rédemption.

Cette suite de « Chien du Heaume » est à la fois très similaire et très différente. Le style d’écriture et le vocabulaire rappellent le premier roman, mais le récit est plus lent, plus introspectif. C’est un peu déroutant parfois, mais le roman se lit bien. C’est un roman étrange, je ne peux pas dire que je l’ai adoré, mais il laisse une empreinte au moment de le refermer.

Zéro Janvier@zerojanvier@diaspodon.fr

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The Dresden Files est une série de romans d’urban fantasy de l’auteur américain Jim Butcher, dont le premier volume a été publié en 2000. Cet été, j’ai enchainé les dix-sept romans publiés à ce jour, mais je n’avais pas pris le temps d’en parler ici. C’est désormais chose faite, avec une critique rapide et à chaud de chacun des romans qui composent cette longue mais divertissante série.

1. Storm Front

Le premier volume des aventures du détective-magicien Harry Dresden est sympathique et plaisant à lire. C’est de la fantasy urbaine classique et réussie. Rien de bouleversant pour l’instant, mais c’est divertissant. On m’a dit que la qualité allait en grandissant au fur et à mesure des romans, donc je vais continuer sans hésitation, car cela commence plutôt bien.

2. Fool Moon

Je poursuis ma découverte des aventures du détective-magicien Harry Dresden avec ce deuxième volume. L'univers de fantasy urbaine créé par Jim Butcher s'étend avec de nouvelle créatures : les loup-garous et autres lycanthropes. L'enquête m'a parfois semblé inutilement confuse et j'ai toujours du mal avec les scènes d'action, mais ce roman reste un bon divertissement, qui me donne envie de lire la suite.

3. Grave Peril

Le troisième tome des aventures du détective-magicien Harry Dresden est pour l'instant celui que j'ai préféré. Si je devais tenter de l'expliquer, je pense que je mettrais en avant un récit plus complexe et riche que dans les deux premières enquêtes, et surtout une galerie de personnages mémorables que l'on a envie de revoir. J'ai hâte de voir si ces qualités se retrouvent dans les prochains volumes !

4. Summer Knight

Les enquêtes et aventures du détective et magicien Harry Dresden semblent gagner en qualité de roman en roman. Avec ce quatrième volume qui nous plonge dans les intrigues mortelles dans le monde dangereux des Fées, l'enquête est passionnante et le récit l'est tout autant ! J'ai beaucoup aimé ce roman et j'espère que les prochains romans seront aussi bons que celui-ci.

5. Death Masks

La qualité des aventures du détective-magicien Harry Dresden se maintient dans ce cinquième roman qui continue de développer l'univers de fantasy urbaine créée par Jim Butcher. Les personnages sont toujours aussi sympathiques à suivre, le récit est bien construit et surtout haletant, on ne s'ennuie pas une seconde en lisant la trentaine de chapitres qui composent ce roman très divertissant et parfois émouvant. Autant dire que je vais poursuivre ma lecture de cette saga !

6. Blood Rites

Les enquêtes du détective-magicien Harry Dresden sont toujours aussi plaisantes à lire. Si le personnage principal est parfois agaçant voire carrément problématique, cela reste largement compensé, à mes yeux, par la galerie de personnages qui l'accompagnent et les intrigues dans lesquels ils sont plongés. Ce sixième roman de la saga ne fait pas exception, avec son récit qui tourne autour d'histoires de familles, pour le meilleur comme pour le pire.

7. Dead Beat

J'ai trouvé un peu poussif le début de ce septième volume des aventures du détective et magicien Harry Dresden, mais j'ai fini par me laisser emporter par le récit qui finit par s'emballer et cela finit de façon grandiose. J'ai toujours un peu du mal avec le personnage principal mais les personnages secondaires qui l'accompagnent compensent largement.

8. Proven Guilty

Ce huitième roman des Dresden Files est peut-être mon préféré depuis le début. L'enquête que mène le détective-magicien Harry Dresden commence de façon classique mais le récit s'emballe et les enjeux montent d'un cran. Cependant, ce qui donne toute la saveur à ce roman, ce sont ses personnages et les liens tissés entre eux. Ce qui m'a le plus plu ici, c'est de voir évoluer Harry au sein de sa famille, biologique ou choisie. J'espère que cela continuera ainsi dans les prochains volumes.

9. White Knight

Le détective-magicien Harry Dresden mène une nouvelle enquête dans le monde surnaturel de Chicago, et c'est toujours aussi plaisant à lire. On sent qu'un fil rouge se développe de roman en roman au fil des enquêtes, et j'ai hâte de voir où cela va nous amener.

10. Small Favor

Comme pour plusieurs tomes précédents, le début est un peu poussif, entre le caractère agaçant du personnage principal et la tendance de l'auteur à ré-introduire les éléments récurrents. Mais comme chaque fois, le récit finit par s'emballer, les relations entre les personnages forment le sel de l'histoire, et l'alchimie finit par se faire, comme par magie, si j'ose dire. Le final fonctionne parfaitement et promet encore de grandes choses pour la suite.

11. Turn Coat

Le fil rouge des aventures d'Harry Dresden se poursuit et s'épaissit dans ce onzième tome où le détective-magicien enquête sur un meurtre au sein même du quartier général du Conseil des magiciens. J'ai toujours un peu de mal avec les scènes d'action (mais ce n'est pas propre à cette série et à cet auteur, c'est général pour moi) mais l'enquête elle-même est intéressante et les enjeux du roman rendent la lecture plaisante.

12. Changes

Le titre de ce douzième volume des aventures d'Harry Dresden promet du changement, des changements, et la promesse est tenue. J'avais lu beaucoup de bien de ce tome, présenté parfois comme l'un des meilleurs voire le meilleur de la série. Si le début m'a un peu déçu par rapport à de telles attentes, le final m'a totalement emballé. C'est un peu comme si l'auteur faisait éclore des graines plantées dès les premiers romans, et cela vaut largement le coup. Sans oublier la toute fin, qui promet encore de grandes choses pour la suite !

13. Ghost Story

Après plusieurs très bons tomes des aventures d'Harry Dresden, celui-ci m'a un peu déçu. L'idée de départ, le fantôme d'Harry Dresden enquête sur sa propre mort, est sympathique mais l'exécution ne m'a pas emballé et j'ai malheureusement vu venir la résolution trop tôt pour que la surprise soit efficace. Et surtout, les scènes d'action m'ont totalement ennuyé. Heureusement qu'il reste quelques interactions entre Harry et les personnages secondaires pour sauver tout cela. J'espère que le prochain tome retrouvera les qualités des précédents !

14. Cold Days

Après un treizième tome qui m'avait déçu, j'avais un peu peur en commençant celui-ci. Heureusement, on retrouve les ingrédients qui me plaisent dans cette saga, et notamment les relations entre Harry Dresden et son entourage familial et amical. J'ai toujours du mal avec les scènes d'action, mais c'est plus une question de goût qu'un problème dans l'écriture proprement dite. Concernant le récit, on sent que les enjeux continuent de monter et que le fil rouge de la saga prend forme progressivement. Une tempête approche, comme le dit fort justement Harry à la fin du roman.

15. Skin Game

J'avais un peu peur en commençant ce quinzième tome des aventures d'Harry Dresden, parce que le résumé ne m'inspirait pas spécialement, mais j'ai été très agréablement surpris. Le récit est à la fois divertissant et prenant, je ne me suis pas ennuyé une seule minute en lisant ce roman. La galerie de personnages était géniale et l'intrigue passionnante. Que demander de plus ? La même chose au prochain tome, peut-être !

16. Peace Talks

J'ai beaucoup aimé ce seizième, et à ce jour avant-dernier, tome des aventures d'Harry Dresden. Je l'ai déjà dit à plusieurs reprises ici, je ne suis pas un grand fan des scènes d'action, dans cette saga comme dans d'autres ; elles sont peu nombreuses dans ce roman, et c'est très bien ainsi pour moi. On sent d'ailleurs clairement que ce volume n'est que le préambule du suivant, une sorte de longue (mais passionnante) montée en tension avant l'affrontement titanesque qui s'annonce dans le prochain roman. J'ai quelques craintes pour celui-ci, car il risque d'être riche en scènes d'action ...

17. Battle Ground

J'avais commencé à lire les aventures d'Harry Dresden mi-juillet, et à peu près un mois et demi plus tard, je viens de terminer le dix-septième et dernier roman paru à ce jour. C'est toujours un peu émouvant de dire au revoir, même provisoirement puisque d'autres romans sont prévus, à des personnages que l'on a suivis pendant un tel voyage.

Pourtant, ce roman n'est pas le meilleur du cycle à mes yeux. Comme je le craignais, après un tome qui servait de long préambule mais qui m'avait passionné, celui-ci est riche en scènes d'action, ce qui n'est jamais ma tasse de thé. J'ai donc survolé certains chapitres, préférant me concentrer sur l'essentiel et sur ce qui me plait dans ce cycle : les interactions entre Harry Dresden et les autres personnages.

Bilan

Si je devais tirer un bilan d'ensemble de ce cycle, je dirais qu'il est très divertissant, qu'il a de nombreux défauts, mais que ses qualités compensent largement et donnent chaque fois envie de lire la suite. Je serai donc probablement au rendez-vous quand Jim Butcher nous proposera la suite des Dresden Files.

Zéro Janvier@zerojanvier@diaspodon.fr

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Littératures d'évasion, de réflexion, de recherche, de critique sociétale...

Les littératures de l'imaginaire nous sont précieuses, pour le plaisir bien sûr, mais aussi pour penser le monde, voyager dans d’autres sociétés, nous confronter à des enjeux comme le réchauffement climatique... et pour éclairer notre propre humanité.

En 27 points, nous explorons les raisons de lire de la science-fiction et de la fantasy. Nous conseillons des centaines de livres, proposés notamment par des libraires, pour que lecteurs et lectrices se construisent leur propre chemin. Nous nous appuyons également sur les visions d’invités qui nous ont accordé 19 interviews : Alain Damasio, Jeanne-A Debats, Etienne Klein, Natacha Vas-Deyres, Roland Lechoucq, Serge Lehman, Nicolas Stenenfled, Clémentine Hougue, Christophe Becker, Fleur Hopkins-Loféron, Vincent Ferré, Saul Pandélakis, Anne Besson, Catherine Dufour, Jean-Marc Ligny, Étienne Bariller, Laurent Queyssi, Karine Gobled, Bertrand Campeis, Yannick Rumpala, Stéphanie Nicot et Alice Carabédian.

Nous aimons l'imaginaire. Et nous allons vous dire pourquoi.

Ariel Kyrou et Jérome Vincent signent un gros pavé mais surtout un très bon livre qui explique pourquoi les littératures de l'imaginaire sont précieuses et pourquoi en lire est une excellente idée.

Pour cela, ils proposent 27 raisons de lire de la science-fiction et de la fantasy, regroupées en cinq grandes thématiques : – le plaisir – l'exploration – la connaissance – le sens – la transformation

Ces chapitres sont entrecoupés de 19 entretiens avec des acteurs de l'imaginaire, que ce soit des auteurs et autrices ou des universitaires.

Evidemment, les deux auteurs parcourent des centaines de références, et j'ai du me retenir fortement pour ne pas faire exploser ma pile à lire en notant tous les livres que j'ai découvert ou redécouvert grâce à eux.

Cet ouvrage pourrait bien devenir un classique et la nouvelle bible des littératures de l'imaginaire. Je suis ravi de l'avoir lu, ce fut un réel plaisir !

Zéro Janvier@zerojanvier@diaspodon.fr

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Premières secousses est un livre collectif du mouvement Les Soulèvements de la terre, publié chez La Fabrique en avril 2024. Il se présente à la fois comme un bilan d’étape après 3 années d’existence de ce collectif écologiste, et comme une réflexion sur les perspectives d’action et d’évolution du mouvement.

Au fil des saisons, nous avons formé des cortèges bigarrés, muni·es de bêches, de mégaphones et de meuleuses, vêtu·es de bleus de travail et de combinaisons blanches, escorté·es par des oiseaux géants... Nous avons traversé les bocages et les plaines, arpenté les vallées industrielles et le bitume des usines – et même frôlé les cimes alpines. Nous nous soulevons pour défendre les terres et leurs usages communs. Contre les méga-bassines, les carrières de sable, les coulées de béton et les spéculateurs fonciers, nous voulons propager les gestes de blocage, d'occupation et de désarmement, pour démanteler les filières toxiques. Nous nous soulevons parce que nous n’attendons rien de ceux qui gouvernent le désastre. Nous nous soulevons parce que nous croyons en notre capacité d’agir.

Depuis des siècles, du nord au sud, des mouvements populaires se battent pour défendre une idée simple : la terre et l’eau appartiennent à tou·tes, ou peut-être à personne. Les Soulèvements de la terre n’inventent rien ou si peu. Ils renouent avec une conviction dont jamais nous n'aurions dû nous départir.

Ce qui frappe d’abord, c’est que les textes proposés dans ce livre sont très vivants. Même quand il s’agit de parler de stratégie, on sent un souffle qui pousse vers l’action avec un désir de « joie militante ». On trouve des récits de luttes, sans oublier les leçons qu'on en tire. Mais aussi des prises de position et des réflexions plus stratégiques, sans masquer les questions encore ouvertes, notamment sur les questions d'organisation et d'articulation entre actions locales et stratégie globale.

C’est un livre passionnant et qui fait du bien, surtout en cette période d’actualité politique angoissante et déprimante. J’aurais pu surligner de nombreux passages, mais j’ai choisi d’en retenir seulement quelques uns, qui m’ont particulièrement marqués et m’ont donné envie de les partager avec vous.

Sur le rôle de l’État :

Il n'y avait pourtant rien à désarmer derrière les grilles. Rien à défendre dans ce cratère. Rien d'autre que l'honneur d'un État qui avait choisi d'en faire le symbole de son autorité retranchée. Mais l'histoire l'a maintes fois démontré, derrière le vernis démocratique et les vestiges de protection sociale, l'État est d'abord et avant tout ce monstre froid qui tue pour défendre les intérêts d'une minorité.

Sur la non-violence :

L’idéologie de la non-violence confond le “bien” et son éthique bourgeoise, discréditant au passage la légitime virulence des protestations populaires à travers le monde. N’est-il pas logique que les classes aisées soient les plus enclines à croire en la possibilité de transformer le système de l’intérieur par des moyens pacifiques et légaux ? Ne faut-il pas jouir de certains privilèges pour livrer sereinement son corps à la police et sa liberté aux juges ?

Sur les rapports entre écologie politique et nature :

Nous entendons tracer une ligne claire entre une écologie qui fait de la nature une norme pour bannir les corps minoritaires, et une écologie qui cherche dans la nature les forces pour renverser les possesseurs et destructeurs de la terre. Trop souvent, ceux qui se revendiquent d'une “terre” ou d'une “nature” vues comme un en dehors figé et idéalisé ne cherchent qu'une chose : asseoir sur une autorité transcendante la violence envers les corps jugés monstrueux ou inférieurs. Pourtant, s'il est une leçon des récents bouleversements écologiques, c'est bien que les humain.es ne sont pas en dehors du monde naturel. L'activité humaine s'avère capable de perturber ce qu'elle pensait être le cadre immuable de son histoire, tandis que le sol sous nos pieds se soulève. La nature n'est pas un espace idéal à protéger ou à imiter. Elle est l'un des noms de l'humaine condition, mais aussi un champ de bataille où s'affrontent des intérêts et des idées. La lutte contre les possédants, nous la menons donc avec des personnes et des organisations qui se battent directement contre le fascisme ou le patriarcat, depuis l'intérieur du mouvement ou en nouant des alliances avec elles.

La nature, pas plus que la nation, ne nous sauvera du déracinement. Si nous voulons défaire les maîtres et possesseurs de la nature, il nous faut construire de nouveaux attachements et nouer des amarres que le mouvement ne tue pas. Pour beaucoup d'entre nous qui vivons sur le sol de vieilles nations occidentales, les liens qui nous relient aux collectivités passées sont précieux, mais trop ténus pour les opposer aux flux déracinants du capital. Au fil des luttes, nous tissons pourtant d'autres liens que ceux du sang et de la propriété. Des liens aux lieux et aux êtres qui se rencontrent lorsqu'on se bat contre un projet d'aménagement ou une réforme néolibérale. Des liens fondés sur l'usage et l'amitié. [...]

Ce qui distingue nos ancrages et nos attachements de l'enracinement réactionnaire, c'est que les communautés que nous construisons ne sont pas encloses dans une illusoire pureté, hérissées de frontières identitaires. Elles sont hospitalières, ouvertes et hybrides. Elles se créolisent et s'enrichissent des contacts noués au fil des vies et des luttes. En cela elles sont vivantes et mouvantes, elles muent et refusent de se figer dans la conservation passéiste d'un toujours ainsi.

Être la nature qui se défend, ce n'est pas camper sir les rives de son territoire pour en repousser de prétendus envahisseurs. C'est au contraire être capable de composer avec une multitude de forces. Avec celleux qui, par leurs histoires, leurs passions ou par nécessité, s'opposent à l'appropriation et inventent ainsi de nouveaux usages des corps et du sol. Nos identités, individuelles ou politiques, ne préexistent pas à nos histoires. Tissons des parentés étendues, qui reposent sur des histoires partagées, des perspectives et des pratiques communes plutôt que sur les seuls liens du sang.

Zéro Janvier@zerojanvier@diaspodon.fr

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Lire News from Nowhere de William Morris, qui décrit une utopie communiste vue par un homme de la fin du XIXe siècle, au moment des élections européennes 2024 dominées en France par l'extrême-droite, de la dissolution de l'Assemblée nationale et des élections législatives qui se préparent, c’est une drôle d’expérience.

Tout au long de ma lecture, j’ai été partagé entre envie, désir d’évasion, et tristesse et amertume face à ces rêves exprimés si joliment non réalisés. Au-delà du contexte de lecture auquel l'auteur ne pouvait évidemment rien, c'est un texte magnifique, parfois maladroit, mais terriblement enthousiasmant. On a envie de vivre dans un monde comme celui qui est décrit, ou en tout cas de lutter pour en faire advenir un qui y ressemble.

Zéro Janvier@zerojanvier@diaspodon.fr

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Je poursuis ma lecture des œuvres de William Morris avec son deuxième roman, The House of the Wolfings, publié en 1889.

L'auteur met en scène des tribus germaniques qui vivent une vie paisible, voire utopique, dans la forêt de Mirkwood. Les tribus s’unissent pour se défendre contre une invasion romaine. Ces romains qui vivent dans des villes, représentants de la « civilisation moderne », viennent en effet pour piller, s’emparer des richesses de la forêt, et remettre en cause le mode de vie ancestral des tribus qui vivaient en paix et en harmonie entre elles et avec leur environnement.

Il faut d’abord s’accrocher un peu, car le vocabulaire et le style sont volontairement archaïques, et il faut accepter que certains dialogues soient écrits en vers. Une fois passé cet obstacle qui n’est pas insurmontable, on peut se laisser happer par un récit à la fois épique et profondément humain, avec des personnages forts et mémorables.

Ce roman est un peu inclassable, entre roman historique, récit mythique, et prémisse d'un genre qui n’existait pas encore : la fantasy historique, car le surnaturel est ici discret, en arrière-plan, mais bel et bien présent.

J’ai beaucoup aimé ce roman, et je comprends désormais mieux pourquoi William Morris est parfois cité comme une source d’inspiration pour J.R.R Tolkien et au-delà pour toute la fantasy du XXe siècle.

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Après avoir lu l'excellente biographie que E.P. Thomson lui a consacré, j'avais envie de lire les oeuvres littéraires de William Morris. J'ai donc commencé par son premier roman, A Dream of John Ball, publié en 1888.

Dans ce court roman, le narrateur, très probablement William Morris lui-même même s'il n'est pas nommé, raconte un rêve dans lequel il est plongé dans l'Angleterre du XIVe siècle et y rencontre John Ball, le prêtre dissident à l'origine de la Révolte des Paysans. Ils échangent sur leurs sociétés respectives, John Ball découvre que son rêve d'une société égalitaire ne s'est pas encore réalisé au XIXe siècle, mais le narrateur le rassure quelque peu en lui affirmant que son rêve est toujours vivant et que d'autres ont pris le relais pour le réaliser. Ainsi, William Morris nous présente John Ball comme un précurseur d'une longue tradition égalitaire qui s'incarnerait désormais dans le socialisme.

Au-delà des aspects politiques, William Morris montre dans ce texte sa passion pour l'époque médiévale et matérialité, notamment l'architecture. Le contraste entre le village médiéval qu'il visite en rêve et son environnement réel est saisissant, et on sent nettement toute la tradition romantique de l'auteur dans ses descriptions fines et nostalgiques.

Enfin, je dois dire un mot du style, joli, mais parfois un peu “lourd” de ce texte, qui le rend parfois ardu à lire. Si l'intention m'a beaucoup plu, l'exécution m'a un peu déçu.

Zéro Janvier@zerojanvier@diaspodon.fr

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J'avais déjà entendu parler de l'artiste, écrivain et militant socialiste révolutionnaire anglais William Morris. Le fait qu'il soit désormais reconnu comme un “précurseur” de la fantasy, mais aussi ses multiples facettes dont son engagement politique, m'avaient donné envie d'en savoir plus sur lui. J'ai donc fini par lire la biographie que lui avait consacré l'historien E.P. Thomson, d'abord en 1955 puis dans une seconde édition en 1976.

William Morris—the great 19th-century craftsman, designer, poet and writer—remains a monumental figure whose influence resonates powerfully today. As an intellectual (and author of the seminal utopian News from Nowhere), his concern with artistic and human values led him to cross what he called the “river of fire” and become a committed socialist—committed not to some theoretical formula but to the day by day struggle of working women and men in Britain and to the evolution of his ideas about art, about work and about how life should be lived.

Many of his ideas accorded none too well with the reforming tendencies dominant in the labour movement, nor with those of “orthodox” Marxism, which has looked elsewhere for inspiration. Both sides have been inclined to venerate Morris rather than to pay attention to what he said.

In this biography, written less than a decade before his groundbreaking The Making of the English Working Class, E.P. Thompson brought his now trademark historical mastery, passion, wit, and essential sympathy. It remains unsurpassed as the definitive work on this remarkable figure, by the major British historian of the 20th century.

William Morris : Romantic to Revolutionary, le titre suffit normalement à expliquer pourquoi j'ai eu envie de lire cette biographie. Je n'ai pas été déçu, bien au contraire. C'est dense mais c'est une très jolie plongée dans la société victorienne de l'Angleterre du XIXe siècle, dans le mouvement socialiste britannique, et dans la vie d'une personnalité “passionnante et passionnée”, comme on dit. Cela m'a donné encore plus envie de lire les oeuvres littéraires de William Morris.

Zéro Janvier@zerojanvier@diaspodon.fr

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Je lis tous les romans d’Édouard Louis depuis la publication du premier, En finir avec Eddy Bellegueule. Si le « personnage médiatique » Édouard Louis peut parfois me gêner ou m’agacer, j’aime beaucoup l’écrivain et ses textes, à la fois personnels, touchants et engagés. Je n’ai donc pas hésité à lire dès sa sortie son nouveau roman Monique s’évade, consacré à sa mère, comme l’était déjà Combats et métamorphoses d'une femme en 2021.

Une nuit, j’ai reçu un appel de ma mère. Elle pleurait. Elle me disait au téléphone que l’homme avec qui elle vivait était ivre et qu’il l’insultait. En vérité cela faisait plusieurs années que la même scène se reproduisait, systématiquement : cet homme buvait et une fois sous l’influence de l’alcool il l’attaquait avec des mots d’une violence extrême.

Elle qui avait quitté mon père quelques années plus tôt pour échapper à la violence domestique et masculine se retrouvait à nouveau piégée dans ce qu'elle avait cru fuir. Elle me l’avait caché pour ne pas « m’inquiéter » mais cette nuit-là était celle de trop. Je lui ai conseillé de partir, sans attendre. Quelques heures plus tard elle traversait la ville dans la précipitation avec un sac à dos et son chien.

Elle s’évadait.

Dès le lendemain se sont posées les questions de la vie qu’il fallait inventer pour ma mère. Comment vivre, et où, sans argent, sans diplômes, sans permis de conduire, parce qu'on a passé sa vie à élever des enfants et à subir la brutalité masculine ?

Ce livre est le récit d’une évasion.

Les hasards de la vie ont fait que j’ai enchainé la lecture de ce roman après celle d’un autre texte consacré à la mère de son auteur, Vie, vieillesse et mort d’une femme du peuple de Didier Eribon. Le ton est toutefois très différent : là où Didier Eribon relatait les dernières semaines de la vie de sa mère, Édouard Louis raconte un épisode de rupture de sa mère avec l’homme avec lequel elle vivait depuis plusieurs années, ce qui constitue bien sûr un bouleversement, mais qui est aussi l’occasion d’une transformation positive, d’une libération.

Le récit est joliment mené par Édouard Louis et j’ai pris beaucoup de plaisir à suivre les « aventures » de sa mère dans ce court roman. J’ai surtout été saisi par l’émotion en lisant les deux derniers chapitres, qui justifient à eux seuls la lecture de ce livre.

Zéro Janvier@zerojanvier@diaspodon.fr

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J’ai découvert Didier Eribon il y a maintenant plusieurs années avec son essai socio-autobiographique Retour à Reims qui m’avait tant plu et marqué. Je ne vais pas revenir sur toutes les raisons qui m’avaient fait aimer ce livre, mais je m’étais retrouvé en partie dans le récit de son parcours et de son rapport à ses parents, tout en appréciant l’analyse sociologique qu’il faisait de la classe ouvrière et de son évolution. Didier Eribon avait commencé l’écriture de Retour à Reims après la mort de son père. L’année dernière, c’est la mort de sa mère qui a provoqué l’écriture de Vie, vieillesse et mort d’une femme du peuple. J’avais repéré la sortie de ce livre mais je ne m’étais pas précipité dessus, peut-être parce que la mort de ma propre mère était encore trop proche pour que je puisse m’y confronter dans un livre que je devinais puissant. J’ai fini par m’y plonger cette semaine.

Il y a quelques années, la mère de Didier Eribon est entrée en maison de retraite. Après plusieurs mois au cours desquels elle a peu à peu perdu son autonomie physique et cognitive, Didier Eribon et ses frères ont dû se résoudre à l’installer, malgré ses réticences, dans un établissement médicalisé. Mais le choc de l’entrée en maison de retraite fut trop brutal et, quelques semaines seulement après son arrivée, elle y est décédée.

Après la mort de sa mère, Didier Eribon reprend le travail d’exploration personnelle et théorique qu’il avait entrepris dans Retour à Reims après la mort de son père. Il analyse le déclin de sa mère, ce qui l’amène à réfléchir sur la vieillesse et la maladie, sur nos rapports aux personnes âgées et à la mort, mais aussi sur l’expérience du vieillissement. Il s’interroge également sur les conditions de l’accueil des personnes dépendantes.

Il montre que si l’expérience du vieillissement nous est très difficile à penser, c’est parce qu’il s’agit d’une expérience-limite dans la philosophie occidentale, dont l’ensemble des concepts semblent se fonder sur une exclusion de la vieillesse.

Eribon reparcourt également la vie de sa mère, et notamment les périodes où elle était femme de ménage, ouvrière puis retraitée, la saisissant dans toute sa complexité, de sa participation aux grèves à son racisme obsessionnel.

Il conclut sa démarche en faisant de la vieillesse le point d’appui d’une réflexion sur la politique : comment pourraient se mobiliser des personnes qui n’ont plus de mobilité ni de capacité à prendre la parole et donc à dire « nous » ? Les personnes âgées peuvent-elles parler si personne ne parle pour elles, pour faire entendre leur voix ?

Didier Eribon mêle à nouveau témoignage personnel – sur la vie de sa mère et de sa relation avec elle – et analyse philosophique et politique sur la vieillesse, la mort, et leur place dans la société. C’est un mélange qui m’avait beaucoup plu dans Retour à Reims, et qui fonctionne à nouveau très bien ici. Il y a beaucoup de passages très forts où l’auteur parle de sa mère et de leur relation, je m’y suis à nouveau partiellement reconnu. Les derniers chapitres, quand l’auteur part dans des considérations philosophiques, m’ont peut-être moins séduit, mais cela n’enlève rien à la qualité de ce livre.

Zéro Janvier@zerojanvier@diaspodon.fr

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